Sean Penn est un auteur pudique : dans ses films, pour dire « Je ne me supporte plus » et s’éclater la tête contre les murs, la honte d’être un homme ne suffit pas, il faut encore avoir de bonnes raisons. Avoir, par exemple, écrasé un soir de cuite une fillette de 6 ans. On peut aussi […]
Sean Penn est un auteur pudique : dans ses films, pour dire « Je ne me supporte plus » et s’éclater la tête contre les murs, la honte d’être un homme ne suffit pas, il faut encore avoir de bonnes raisons. Avoir, par exemple, écrasé un soir de cuite une fillette de 6 ans. On peut aussi prendre le problème dans l’autre sens et penser que l’histoire de Crossing guard est très bonne, avec sa simplicité et ses pulsions basiques (culpabilité, désir de vengeance), parce qu’elle permet de parler de choses comme le sentiment d’étrangeté à soi-même ou l’envie de se mutiler sans paraître trop crâneur. Il y a pourtant quelque chose d’édifiant dans cette histoire d’un père hanté par l’absence de sa fille, absence qui devient une présence au carré. Si Nicholson recherche la communauté des boîtes de strip-tease, ce n’est pas pour oublier la morte mais précisément pour s’en souvenir. Dans sa confusion mentale, cette foule n’est rien d’autre que les détails qui rendent visible le motif essentiel, la multitude qui permet de cadrer le vide. Ce que va faire le chauffard en attirant le père sur la tombe de sa fille, c’est lui permettre de donner un lieu, réel, détaillé (« La pierre est rose », dira Nicholson), à cette absence et de commencer son travail de deuil.
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Alors il ne fait aucun doute que cette histoire est très sérieuse pour Sean Penn et qu’il est important pour lui qu’elle se boucle en morale, mais il n’empêche qu’on est tentés d’isoler les états des personnages de la chaîne des actions, tant la narration est toujours seconde par rapport à leur corp et leurs pensées. C’est ce qui fait l’étrangeté encombrante de ce film, sa beauté tétanisée. D’une part, Crossing guard fait corps avec les états perceptifs et psychologiques de ses héros, accumulant, jusqu’à l’hypnose ou le malaise, plans subjectifs, ralentis, déformations sonores ; d’autre part, il s’éloigne d’eux, les montrant dans des situations conflictuelles, aux prises avec des personnes qui condamnent leurs comportements. Soit deux glacis de réalisme aux durées disparates qui communiquent mal et qui répugnent à s’agencer en narration, ou alors par à-coups. La longue séquence finale de poursuite peut surprendre, comme retour en force d’un fictionnel balisé et usuel, comme unification par la force de ce film scindé et en constante menace d’effondrement, mais elle n’est que l’amplification d’une ritournelle qui, en sourdine, courait tout le film, le filet d’eau qui vire torrent, l’histoire victorieuse de son long travail d’érosion.
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