Un passionnant recueil de textes divers qui confirment que Fellini préférait parler des paysans de Rimini que gloser sur ses films. On croyait tout savoir de Fellini. Et le contraire de tout. Personnage paradoxal et affabulateur de première, Fellini a toujours réussi à dissimuler sa propre vie derrière des masques multiples, des histoires à dormir […]
Un passionnant recueil de textes divers qui confirment que Fellini préférait parler des paysans de Rimini que gloser sur ses films.
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On croyait tout savoir de Fellini. Et le contraire de tout. Personnage paradoxal et affabulateur de première, Fellini a toujours réussi à dissimuler sa propre vie derrière des masques multiples, des histoires à dormir debout, des récits toujours différents et souvent passionnants. Il suffit de prendre les différents livres d’entretiens avec le Maestro pour se rendre compte qu’il n’existe pas un seul Fellini mais une multitude de personnages qui, sous son nom, traversent l’histoire italienne de l’après-guerre. Le livre qui paraît aujourd’hui (directement en poche, bonne initiative) ne fait que renforcer cette image. Qu’on ne s’y trompe pas : derrière son titre programmatique, sérieux, se cache un livre qui n’a rien de théorique, aucune prétention érudite. Le bouquin est d’abord sorti à Zurich avant d’être publié en italien par Einaudi. Fellini, comme à son habitude, se désintéressait complètement de ce projet en langue allemande qui mêlait interviews, préfaces, morceaux de correspondances et même certains écrits apocryphes. Pour l’édition italienne, ce joyeux foutoir, parfaitement adapté à un personnage qui oublie souvent de coïncider avec lui-même, se réorganise un brin pour constituer ce que l’on peut lire aujourd’hui en français : une sorte de grand puzzle fellinien, composé en grande partie de textes de circonstance, écrits à la suite d’un film ou en des occasions très particulières (préfaces à un livre sur Rimini, interview à Playboy…), et qui trouve sa cohérence dans sa diversité même. On pourrait d’abord lire le livre comme un formidable recueil d’anecdotes, d’histoires réelles ou rêvées. On y découvrira alors un écrivain au grand talent narratif, sachant choisir ses mots, décrire des situations pittoresques. En retraçant son enfance à Rimini, Fellini fait revivre tout un monde de petits artisans et paysans qui aiment le sangiovese, cet excellent vin de Romagne. On y croise un petit vieux capable de « guérir ou de rendre malade les poulets et les moutons », un autre qui « s’était rompu les jambes en sciant la branche d’un arbre alors qu’il se tenait assis du mauvais côté », bref, des petites gens dont Fellini parle avec chaleur et amitié, bien plus à l’aise dans l’évocation de ses souvenirs champêtres que dans les analyses de ses propres films. C’est ce qui frappe le plus tout au long de l’ouvrage : autant Fellini est habile pour prendre des chemins de traverse dès qu’il s’agit d’évoquer sa création, autant il se délecte des évocations furtives de moments passés au milieu des gens qu’il aime. On découvre dans ces personnes un certain nombre de figures récurrentes du cinéma de Fellini, truculentes ou raffinées, et une analyse de la prostituée, figure centrale de nombre de films italiens dans les années 60, que Fellini considère comme « le contrepoint essentiel de la mère italienne ».
Mais on peut tout aussi bien aborder le livre comme le bloc-notes d’un metteur en scène qui alterne des idées de scénarios, des réflexions qui, affirmées comme en passant, nous renseignent sur les partis pris du cinéaste Fellini. La rencontre avec Rossellini, avant Rome ville ouverte, a sans doute été le départ de la carrière du Maestro qui alors gagnait fort bien sa vie comme caricaturiste en dessinant les soldats américains devant les monuments de Rome. « Je crois avoir appris de Rossellini un apprentissage jamais traduit en paroles, jamais exprimé, jamais transformé en programme la possibilité de marcher en équilibre au milieu des conditions les plus hostiles, les plus opposées, et en même temps la capacité naturelle de tourner à son propre avantage ces adversités, de les transformer en un sentiment, en des valeurs émotionnelles, en un point de vue. » Plus loin, Fellini parle de son rapport au psychanalyste Jung, qu’il n’a jamais aussi bien explicité qu’ici et dont l’utilité dans la compréhension de ses films est immense. Il évoque en particulier la rencontre entre science et magie, entre rationalité et imagination, la possibilité que Jung nous offre de « traverser la vie en s’abandonnant à la séduction du mystère avec le réconfort de savoir que ce dernier peut être assimilé à la raison ». Une partie du cinéma de Fellini est là, dans ce rapport étroit entre le rêve, omniprésent tout au long du livre, et une réalité recréée.
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