Avec moins de complaisance, ce serait du Hawks, avec plus de risques, du Pialat. Ce n’est que du Miéville et ça ressemble à un film de Godard sans Godard aux manettes. L’homme est comédien. Dans un quelconque théâtre subventionné , seul sur scène, il interprète un texte de Hannah Arendt, La Nature du totalitarisme. Un […]
Avec moins de complaisance, ce serait du Hawks, avec plus de risques, du Pialat. Ce n’est que du Miéville et ça ressemble à un film de Godard sans Godard aux manettes.
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L’homme est comédien. Dans un quelconque théâtre subventionné , seul sur scène, il interprète un texte de Hannah Arendt, La Nature du totalitarisme. Un projet absurde, comme seuls les théâtres subventionnés sont capables de les concevoir. Ce texte fait pour être lu tranquillement chez soi, il le dit plutôt bien devant des rangées de fauteuils vides. Ce ne sont que les répétitions. Il parle avec le même accent suisse que Jean-Luc Godard, il fume de gros cigares comme Jean-Luc Godard, il porte les mêmes lunettes que Jean-Luc Godard et sa barbe de trois jours lui sert de fond de teint. Il est habillé comme un intellectuel de son âge, très mal donc. Sa démarche est raide, les bras collés le long du corps. Il se plaint que l’œuvre disparaisse derrière l’homme, que les sonnettes d’aujourd’hui fassent un bruit abominable et que, d’une manière générale, tout aille de mal en pis. Il dit qu’il a de l’humour et constate avec regret que les gens le trouvent antipathique. Avec celle qui partage simplement sa vie, ses instants, il devient un vieil amant, comme dans une chanson de Gérard Lenorman. C’est un homme qui vaut tous les hommes et que tous valent, comme dans un livre de Sartre. Cet homme ne s’appelle pas, ce sera « lui ». On a reconnu Jean-Luc Godard.
La femme est cinéaste. Elle est toute de blondeur butée. Elle veut faire un film qui s’appellerait Nous sommes tous encore ici. Elle ne trouve pas l’argent. On lui dit que la poésie, c’est fini. Et puis qu’elle cite trop les philosophes. Et puis qu’on ne voit pas le fil rouge entre les différentes parties. Elle fera quand même son film et, à la fin, le spectateur pensera exactement la même chose que les vilains bureaucrates qui n’ont pas voulu donner l’argent. Tant pis, on assume, comme le film. Pour s’occuper, elle réinvente le dialogue philosophique avec une copine. C’est Platon revu par Modes et travaux. Là encore, c’est bien dit, très bien éclairé, filmé propre, amusant et ennuyeux tout à la fois. Sa copine, c’est Bernadette Lafont. Elle ne se frappe pas, elle en a vu d’autres. Avec « lui », elle se chamaille un peu. Dès qu’il a le dos tourné, elle le traite d’enfumeur et de faux témoin. Ce n’est pas très gentil. Elle est infâme ? Non, elle est une femme, comme dans un vieux film de Jean-Luc Godard. Cette femme ne s’appelle pas, ce sera « elle ». On a reconnu Aurore Clément. Selon des témoins dignes de foi, « elle » ressemble comme une sœur à Anne-Marie Miéville, la compagne de Jean-Luc Godard.
Comme il faut être deux pour faire du cinéma (théorème de Godard), ces deux-là forment ce qu’on appelle un couple. C’est donc un film sur leur couple, bien clos sur lui-même, autarcique comme la Corée du Nord, sans courant d’air, toutes les issues sont gardées, comme le disait la pancarte au début d’un vieux film d’Orson Welles. On a l’impression d’être de trop, de déranger. On voudrait pouvoir partir sur la pointe des pieds. Tout ça ne nous regarde pas, ou si peu. Quand ils veulent parler d’eux, les Straub vont chercher Sch nberg pour mieux se (re)trouver. Godard/Miéville n’ont trouvé qu’eux-mêmes pas sûr que ça suffise. Dans ses meilleurs moments, mais ils sont rares, le film devient burlesque. Avec un peu plus de décalage et un peu moins de complaisance, il pourrait devenir une de ces comédies du remariage que réussissaient si bien Hawks ou McCarey. Avec un peu plus de risques et un peu moins de confort, et un peu plus de sexe aussi (paraît que ça compte dans un couple…), il pourrait ressembler à un film de Pialat. Mais il n’est rien de tout cela, il n’est qu’une suite de bavardages laborieux et de plaintes molles. Souvent, forcément souvent, on songe à un film de Godard, à Détective lors de la scène du restaurant, à Sauve qui peut (la vie) presque tout le temps. Ceux qui n’aiment pas Godard l’attaquent sur ses scénarios, simples recueils d’aphorismes, disent-ils. A quoi ressemblerait un film tiré d’un scénario de Godard qu’il n’aurait pas mis en scène lui-même ? Maintenant, on sait : il ressemblerait à ça. De la difficulté d’être la femme d’un grand homme et de la nécessité de s’en éloigner. Nous en sommes toujours là. On n’a pas beaucoup avancé.
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