Stéphane Foenkinos incarne cinquante-cinq écrivaines dans un livre et une exposition parisienne. Une vision distanciée mais juste.
Comment appréhender le style d’un écrivain ? Son univers se réduit-il à la musique des mots ? Par-delà son écriture, l’imaginaire qu’il déploie tient aussi à son incarnation physique, à la puissance d’évocation d’une photographie, d’une coiffure singulière, d’un foulard autour du cou, d’un regard perdu dans le viseur de son portraitiste… Sous les masques du visage transpire le secret du langage.
On se souvient de la série de portraits d’Olivier Blanckart, Moi en…, où l’artiste se travestissait pour réincarner des icônes de la littérature (Jean-Paul Sartre, Guy Debord, Balzac…). Plutôt que jouer un rôle, jouer avec l’image. On retrouve ce même élan ludique et ce sens du mimétisme dans le travail de Stéphane Foenkinos, Stéphanie Murat et Raphaëlle Valbrune, 55 écrivaines.
Romancières austères ou hautes en couleur
Les portraits de romancières incarnées par Stéphane Foenkinos sont accompagnés d’extraits éclairants de leurs livres respectifs. Des romancières d’aujourd’hui (Anna Gavalda, Nathalie Rheims, Virginie Despentes…) aux célébrités d’hier (Colette, George Sand, Emily Dickinson…), des figures de la littérature anglo-saxonne (Virginia Woolf, Jane Austen…) aux écrivaines de langue allemande (Hannah Arendt, Elfriede Jelinek…), des reines hautes en couleur de best-sellers (Barbara Cartland, Mary Higgins Clark…) aux plus austères (Nathalie Sarraute, Susan Sontag…), Foenkinos prend la pose pour évoquer la prose. Sous toutes ses coutures.
Par le sens du détail, dans le choix du vêtement, le mouvement de la mèche, il réinvente des personnages à partir des clichés qui leur sont associés. Dans la peau de Carson McCullers, allongée sur le dos, le regard hagard (une image proche de l’univers de Cindy Sherman) ou dans la peau, magnifique, de Marguerite Duras (le col du pull remonté), Stéphane Foenkinos assume ce goût du mimétisme avec l’image fantasmatique de l’auteur tout en préservant une distanciation : ces cinquantecinq portraits d’écrivaines restent avant tout cinquante-cinq portraits du modèle aux yeux cernés, plongé dans le grand jeu enfantin du travestissement.
La force comique et poétique réside dans ce léger écart entre une image fixe enfouie dans nos consciences de lecteurs et ces portraits impressionnistes, comme autant de reflets justes et imparfaits d’écrivaines pleines de style.
Jean-Marie Durand
livre 55 écrivaines par Stéphane Foenkinos, Stéphanie Murat et Raphaëlle Valbrune, catalogue de l’expo, 15 euros exposition jusqu’au 25 juin à la galerie Dupin, Atelier de Sèvres, 5, rue Dupin, Paris VIe