Au moment de sa sortie en salles, certains spectateurs (scorsésiens ou non) avaient fait la fine bouche devant Casino « trop de voix off », « resucée des Affranchis », « Scorsese se répète en moins bien »… Or, la revoyure de Casino un an après confirme que c’est un chef-d’œuvre des années 90 (même sur écran timbre-poste), un film […]
Au moment de sa sortie en salles, certains spectateurs (scorsésiens ou non) avaient fait la fine bouche devant Casino « trop de voix off », « resucée des Affranchis », « Scorsese se répète en moins bien »… Or, la revoyure de Casino un an après confirme que c’est un chef-d’œuvre des années 90 (même sur écran timbre-poste), un film d’une grande complexité formelle et thématique au pouvoir métaphorique infini. Si Scorsese reprend ici ses personnages de mafieux aux accents pittoresques, ce ne sont plus les gouapes graisseuses de Mean streets ou des Affranchis, mais des super-caïds, des princes, des demi-dieux, des héros shakespeariens, des figures de tragédie grecque ; leur théâtre d’opération n’est plus Little Italy, mais Las Vegas, ville mirage, puits de lumière absorbant toutes les allégories possibles (l’Argent, le Pouvoir, la Dépendance, Hollywood, l’Amérique, le Capitalisme…). Pour filmer ces personnages et ce lieu aux dimensions mythologiques, inhumaines, Scorsese pousse son cinéma dans le rouge, multiplie travellings, grues et Louma, accélère certaines parties de son récit à des vitesses vertigineuses… Cette mise en scène cocaïnée n’est pas une vanité de plus, une agitation très creuse et très contemporaine, mais une volonté d’épouser au mieux l’agitation artificielle de Vegas, son atmosphère hallucinatoire, son effet drogue permanent. Scorsese multiplie aussi les angles d’attaque : documentaire sur le fonctionnement des casinos, circuit de l’argent, sociologie du Nevada, drame domestique, triangle amoureux, fusillade et pyrotechnie de rigueur, western… Dans Casino, il y a tous les films de Scorsese, tous les genres passés dans la même lessiveuse romanesque. Mais au bout de ce tour de force, de cette œuvre titanesque, c’est un sentiment de profonde mélancolie qui domine, un air de fin du monde fin d’un âge d’or, fin d’un certain cinéma, d’une certaine manière de voir et de faire les choses. Les personnages ont raté leur vie, Vegas a été repris en main, normalisé par l’ultracapitalisme triomphant (toute ressemblance avec, etc.). Le dernier plan montre Ace Rothstein seul, avec le visage d’un type qui a croisé la mort de près. Le héros a traversé le feu, l’enfer, les guerres de toutes sortes, il est retourné d’où il venait. Seul avec juste son savoir-faire, son professionnalisme comme compagnon fidèle. Mais vivant. Comme Scorsese.
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