Graine de star. Après avoir été le producteur inventif de quelques piliers rock des années 80 Echo & The Bunnymen, The Fall, Pale Fountains , Ian Broudie aura mis quinze années à retrouver le goût de l’écriture pour s’imposer, enfin, en possible pop-star. Ce qu’il est effectivement devenu depuis le triomphe outre-Manche de ses […]
Graine de star. Après avoir été le producteur inventif de quelques piliers rock des années 80 Echo & The Bunnymen, The Fall, Pale Fountains , Ian Broudie aura mis quinze années à retrouver le goût de l’écriture pour s’imposer, enfin, en possible pop-star. Ce qu’il est effectivement devenu depuis le triomphe outre-Manche de ses Lightning Seeds, groupe composite présentant aujourd’hui son nouvel album, Dizzy heights.
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« Mon parcours ne ressemble à aucun autre. J’ai d’abord été producteur, puis artiste solo, puis chanteur dans un groupe : tout l’inverse de ce qui se fait généralement dans ce milieu. » Ainsi se présente Ian Broudie au moment où paraît son quatrième album sous enseigne Lightning Seeds, un disque qui le voit enfin endosser pleinement le rôle avec lequel il joue à cache-cache depuis bientôt vingt ans. Pourtant, Broudie n’a jamais été très loin des projecteurs : l’observateur méticuleux aura pu suivre le producteur à la trace, au gré de ses bivouacs successifs des Pale Fountains à Icicle Works, de The Fall à Noir Désir , autant de cailloux blancs jetés à l’aveugle dans le no man’s land musical du milieu des années 80. Après plusieurs tentatives de groupes avortées qui se souvient vraiment de Big In Japan, d’Original Mirrors, de Care ? , Ian Broudie s’était en effet réfugié derrière les consoles, fréquemment appelé à la rescousse pour venir donner un coup de main à ses amis de Liverpool (sa ville natale) sortis du bain after-punk, comme Teardrop Explodes ou Echo & The Bunnymen à propos desquels il ne tarit pas d’éloges : « Dès le départ, je les ai trouvés très différents de ce qui se faisait à l’époque, fantastiques. Et je sortais d’une expérience si pénible avec Original Mirrors que j’ai fini par les produire. J’ai alors réalisé que je pouvais me concentrer uniquement sur la musique et les arrangements, et oublier le reste. » La production : meilleur moyen trouvé par Broudie pour travailler avec les groupes du moment tout en restant à la périphérie de ces conflits d’ego qui avaient miné ses premiers projets. Logique que ses manières discrètes de producteur reposent désormais plus sur la notion d’échange avec des artistes dont il est, après tout, le frère d’armes réformé que sur des fantasmes de mainmise spectorienne. « Phil Spector était un sacré personnage, un producteur qui contrôlait entièrement le son. Ça n’a jamais été mon cas. J’ai toujours essayé de faire sortir quelque chose de tous ces groupes en m’impliquant beaucoup à chaque fois. J’ai toujours eu une vraie mentalité de groupe, et non de producteur, ce qui est à la fois un avantage et un inconvénient. »
Si le statut de producteur ne lui permettra pas de récolter rapidement l’usufruit de son travail, il lui offrira en revanche l’avantage de semer des jalons pour son propre avenir. Ce qui lui permet aujourd’hui de se retourner avec satisfaction sur une décennie à laquelle il sait avoir apporté plus qu’il ne l’avouera. « De mon travail des années 80, je ne retiendrais vraiment que les disques d’Echo & The Bunnymen et des Pale Fountains. A cette époque, j’allais dans une certaine direction alors que tout le monde semblait aller dans le sens inverse. C’est le moment où je suis devenu crédible artistiquement. Tous ces groupes avec lesquels j’ai travaillé avaient un son particulier, un son qui a plus à voir avec ce qui se fait aujourd’hui qu’avec les productions de l’époque. Je n’ai jamais été frustré dans la mesure où je m’amusais beaucoup, mais je savais que je pouvais écrire des chansons, que j’avais de bonnes idées. Pourtant, je n’ai jamais eu envie de devenir « Ian Broudie, le producteur qui fait ses propres disques ». Aujourd’hui encore, je n’ai pas l’impression de coller à cette image. » Derrière cette fierté qui semble parfois lui échapper comme un bonbon acidulé lui tomberait des lèvres, derrière ces anecdotes cousues de dentelle livrées en pâture aux biographes et autres trousseurs de hasard, se cache un personnage déchiré entre un profond désir de reconnaissance et la peur d’entendre le son de sa propre voix. Talent précoce bien qu’effacé, rongé trop tôt par la crainte de ne pas être à la hauteur de ses propres ambitions et taillé comme un bonsaï par les egos castrateurs de ses camarades de jeu, Ian Broudie aura attendu près de quinze printemps avant de pouvoir nous offrir le plus beau bouquet de fleurs qui aient jamais poussé au bout du manche de sa guitare. Autopsie d’un traumatisme : « Avec Big In Japan, j’étais entouré par des gens que seules les idées intéressaient, des mecs très cérébraux. De mon côté, le statut de musicien, le côté « crack à la guitare », ne m’avait jamais attiré. Pourtant, quand nous avons commencé à tourner hors de Liverpool, à exister réellement, je me suis dit « Voilà enfin un truc que je peux faire pour la vie. » Mais ça n’a pas duré. Lorsque l’aventure s’est terminée, Budgie, le batteur, et moi nous sommes retrouvés seuls à Londres. Lui a fini par rejoindre les Slits, quant à moi, j’ai atterri dans une maison avec le chanteur d’un groupe local, Death School. C’est ainsi qu’est né mon second groupe, Original Mirrors. C’était un mauvais choix, une perte de temps avec des gens plus vieux que moi. Ça a duré deux ans. J’écrivais les chansons mais c’est un autre qui les chantait. Or, ça m’a toujours mis hors de moi de voir Roger Daltrey chanter les chansons de Pete Townshend. C’est un peu ce qui s’est passé avec les Original Mirrors : j’avais mon Roger Daltrey à moi, et jouer selon ces règles-là ne me motivait pas. Je crois que ça a eu une réelle influence sur le fait que je ne devienne pop-star qu’à 38 ans. » Quoi qu’il en dise, Broudie continuera à travailler pour les autres, y compris après la parution en 89 du mini-tube Pure et de deux albums Cloudcuckooland en 90 et Sense en 92 enregistrés seul mais frappés du sceau Lightning Seeds. « Un producteur, c’est un mec qui doit avoir un plan de carrière pour ne pas bosser avec n’importe quel groupe. Mais je n’avais jamais envisagé la musique sous ce jour, et là, c’était devenu un boulot à plein temps : tout ce dont je n’avais pas envie. »
Paradoxe quotidien qu’il gère pourtant avec moins d’embarras qu’il en montrera au moment d’évoquer les moins glorieuses de ses collaborations, comme cet album produit pour Alison Moyet. « Alison a beau être une bonne copine maintenant, ce que nous avons enregistré ensemble n’est pas ce qu’elle a fait de mieux. Je pense qu’elle avait besoin de croire qu’elle était quelque chose qui ne correspondait sans doute pas à la réalité, alors qu’elle est bien meilleure lorsqu’elle est vraiment elle-même. En fait, je crois qu’elle aimerait faire partie d’un groupe… De tous ceux que j’aie pu produire, Dodgy a été le groupe qui m’a le plus apporté, qui a fait sortir le meilleur de moi, parce qu’ils m’ont aussi beaucoup pris. Les Bunnymen m’ont endormi et Dodgy m’a réveillé en me donnant envie d’être à nouveau dans un groupe. » Projet mille fois rêvé qui devra pourtant patienter jusqu’en 1995 et le succès tardif et inattendu de Jollification vendu à plus de 700 000 exemplaires. Une reconnaissance tardive qui lui permettra de retrouver la scène accompagné de vieilles connaissances et de reprendre le cours d’une histoire mise entre parenthèses prématurément. « Avec Jollification, j’ai vraiment eu l’impression d’atteindre quelque chose d’unique : j’avais pour la première fois envie de chanter mes chansons. La scène a été comme une révélation, l’étincelle, l’endroit où tout s’imbriquait naturellement. Aujourd’hui, je me sens assez bien dans la peau du chanteur, plutôt confiant, aussi bizarre que cela puisse paraître. » Du coup, Dizzy heights paru il y a deux mois en Angleterre et enfin disponible en France est l’œuvre d’un groupe et non plus d’une seule personne : l’occasion pour Broudie de démontrer qu’on peut être et avoir été tout en affichant une fraîcheur et un enthousiasme qu’on associe rarement aux disques de producteurs exercices risqués versant souvent dans une course d’obstacles en stéréo finissant le nez dans l’Airbag d’un savoir-faire mal assumé. De fait, l’album de ce faux débutant dispense un subtil dosage entre la spontanéité d’un groupe et l’habileté de vieux briscard des studios qu’il est devenu à son corps semi-défendant. Aux côtés de guitares ramassées sur les rives de la Mersey et d’une écriture lorgnant vers une tradition pop sixties (celle de McGuinn et des Kinks), Broudie utilise des claviers et des boucles qui ne sont pas sans rappeler l’eurodance des Pet Shop Boys circa 1986 jusque dans le chant, greffe réussie des cordes vocales de Neil Tennant sur les amygdales de Sice, avec tout de même un peu de souffle en moins. Les chœurs et les cordes, réminiscences du son Motown en particulier sur What if et Like you do , achèvent de donner à Dizzy heights l’aura d’un disque aux velléités moins contrariées que celles de son géniteur, désormais prêt à toutes les audaces et tous les croisements écriture à l’ancienne contre sonorités résolument modernes. « Finalement, ce qui m’amuserait le plus aujourd’hui, ce serait de pouvoir sortir un album solo. »
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