Depuis l’affaire DSK, les politiques et les spécialistes de la communication réfléchissent au climat de la future bataille présidentielle.
C’était le 4 mai, autant dire il y a une éternité. Pierre Moscovici, lieutenant de Dominique Strauss-Kahn, disait redouter « une campagne de boules puantes » en 2012, après la publication dans la presse de photos montrant le patron du FMI près de la Porsche de son conseiller en communication, Ramzi Khiroun, salarié de Lagardère et d’Euro-RSCG.
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Lors de ce passage à Paris, DSK avait lui-même reconnu devant certains de ses camarades socialistes qu’il pourrait faire l’objet d’attaques pas très correctes de la part du camp Sarkozy pendant la campagne présidentielle. Mais il avait ajouté qu’il avait de quoi répondre « dans la même veine » sur le chef de l’Etat. Ironie de l’histoire, ce que les socialistes appellent désormais pudiquement « l’événement de New York », c’est-à-dire l’arrestation de DSK pour agression sexuelle, le 14 mai, a ouvert les vannes du trash dans la politique française.
En février 2007, à l’orée de la précédente campagne présidentielle, Alain Duhamel avait été victime de la diffusion d’une vidéo sur Internet, où il confiait son sentiment pro-Bayrou à des étudiants de Sciences-Po. Sanctionné et interdit d’émissions sur France 2, il a gardé une dent contre la toile.
Le 2 juin, l’éditorialiste se lâche lors de la matinale de RTL. Après les affaires DSK, Tron et les insinuations de Luc Ferry sur la pédophilie supposée d’un ancien ministre, pour Alain Duhamel, la démonstration est faite que c’en est fini de « l’attitude réservée » observée jusqu’ici en France à l’égard de la vie privée des puissants.
Et il ne voit aucune échappatoire : « A l’appui de mon hypothèse, il y a Internet. L’ère de la calomnie dispose du moyen de diffusion le plus puissant, sous une forme anonyme, sans contrôle, un accélérateur, un amplificateur de tout ce qui s’est passé et de tout ce qui va se passer. »
Le coupable est désigné. Mais l’explication est un peu courte. Car si Internet et les réseaux sociaux modifient profondément la donne en matière de communication pour l’élection de 2012, rien n’empêche les politiques et les médias de ne pas s’en servir comme d’une poubelle. Il y a les pessimistes comme cet expert en communication, qui estime que la prochaine présidentielle donnera lieu « à une campagne trash comme on n’en a jamais vu ».
« La droite avait déjà promis de tout sortir sur DSK. Il est sorti lui-même. Mais les autres candidats peuvent s’attendre au pire », diagnostique ce spécialiste qui travaille pour plusieurs élus.
Responsable de la communication de Nicolas Sarkozy, Franck Louvrier reconnaît que « la campagne de 2012 se fera différemment de celle de 2007 ». « Elle se fera sur les chaînes d’info en continu, et accessoirement sur les réseaux sociaux. » Mais, précise-t-il aussitôt, « la démultiplication du nombre de supports n’est pas une inquiétude pour nous ».
« C’est davantage une inquiétude pour les professionnels de l’information qui vont avoir du mal à faire le tri, dans l’urgence, entre vrai et faux. Mais je ne crois pas que l’on soit en danger. De toute façon, on ne peut faire ni contre ni sans, on doit le prendre en compte », ajoute le conseiller du chef de l’Etat.
Et même faire avec. L’Elysée s’est déjà armé pour cette nouvelle bataille de l’opinion, même si Franck Louvrier souligne que les proches de Nicolas Sarkozy « ne sont pas encore sur la campagne » présidentielle. La présidence de la République dispose aujourd’hui d’un service Internet de sept personnes, qui gèrent au quotidien le site de l’Elysée et la présence de Nicolas Sarkozy sur Facebook (439 000 fans sur sa page officielle) et Twitter.
« C’est vrai que Twitter est devenu un vecteur d’information, il faut donc avoir une plus grande réactivité car c’est aussi un nid à rumeurs », explique Franck Louvrier. Aux yeux du spin doctor de Nicolas Sarkozy, le site Fightthesmears (combattez la rumeur) de Barack Obama en 2008 « est un peu dépassé ».
« Mais bien sûr nous réfléchissons à un dispositif pour répondre à ce qui circule sur les réseaux sociaux », ajoute-t-il sans dévoiler ses batteries.
On verra bien début 2012… Au PS, il n’y a pas davantage de « dispositif dédié » à la riposte antitrash. « Tout ce qui se passe change bien évidemment l’approche des politiques. Le temps des politiques n’est déjà pas celui des médias, et encore moins celui des réseaux sociaux, mais on s’y met », explique-t-on. Ségolène Royal, qui a déjà créé sur son site une rubrique « Rétablir la vérité » après la campagne perdue de 2007, twitte elle-même sur son iPad. Parfois pour dénoncer un article ou un reportage qu’elle juge tendancieux.
François Hollande, favori des sondages à gauche depuis la chute de DSK, est averti par ses collaborateurs dès qu’une information circule. « Mais je ne vois pas ce que l’on pourrait trouver, sourit-il, ma vie est connue. »
Stéphane Rozès, politologue et président de la société CAP (Conseils, analyses et perspectives), estime que le trash n’a pas d’avenir en France. « Ce qu’on observe, c’est une tension entre des médias et certains des entourages qui font fuiter des rumeurs pour ‘anglo-saxonniser’ la politique, dans l’idée qu’il ne devrait plus y avoir de frontière entre vie privée et vie publique, explique-t-il, avant de préciser : Les Français entendent les rumeurs mais elles n’auront d’impact qu’à partir du moment où la nature de ce qui est révélé pose problème sur la capacité à incarner la fonction présidentielle. »
Autrement dit, la vie privée, la vie sexuelle, « tant qu’il n’y a pas délit ou crime », n’a pas d’impact sur les choix électoraux, ce qui n’est pas le cas des soupçons de conflits d’intérêt ou de lien avec des puissances d’argent. Et pour Stéphane Rozès, « les grands médias vont faire le tri républicain entre ce qui relève de la rumeur et les informations à caractère politique ».
Il estime même que « tout homme politique qui se ferait prendre la main dans le sac comme étant à l’initiative d’une campagne trash en subirait les conséquences ».
Selon l’expert en communication cité plus haut, les politiques ont en main l’arme fatale pour s’éviter une campagne trash. Il suffisait d’y penser. « Le risque, dit-il, c’est que si le niveau du débat politique reste médiocre, la forme continue de dominer, et comme la forme aujourd’hui, c’est le buzz, il n’y a plus qu’à travailler sur le fond. »
Hélène Fontanaud
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