La Cinémathèque inaugure sa salle des grands boulevards avec Un Homme à détruire, un Losey qu’on croyait perdu. Nous sommes en 1951. Joseph Losey vient de quitter précipitamment les Etats-Unis pour éviter d’être jeté en prison. Son nom a été “balancé” à la commission des activités anti-américaines, le brillant jeune cinéaste hollywoodien devient un apatride. […]
La Cinémathèque inaugure sa salle des grands boulevards avec Un Homme à détruire, un Losey qu’on croyait perdu.
Nous sommes en 1951. Joseph Losey vient de quitter précipitamment les Etats-Unis pour éviter d’être jeté en prison. Son nom a été « balancé » à la commission des activités anti-américaines, le brillant jeune cinéaste hollywoodien devient un apatride. Longtemps considéré comme perdu, Un Homme à détruire (Imbarco à mezzanotte, titre italien ou Stranger on the prowl, titre américain) est son premier film européen, réalisé sous le pseudonyme d’Andrea Forzano. Juste après, Losey partira pour Londres où il commencera vraiment une nouvelle vie et une nouvelle carrière. Accident de parcours, simple parenthèse dans l’itinéraire tourmenté d’un artiste persécuté par son propre pays, Un Homme à détruire n’est certes pas un grand film mais beaucoup plus qu’une simple curiosité.Près de vingt ans après Scarface, le grand Paul Muni y incarne un homme de nulle part, sans nom et sans passé, affamé et pourchassé, coincé dans un petit port italien dans l’attente d’un hypothétique embarquement. Tourné en Italie, produit par des communistes américains exilés qui s’étaient associés avec des propriétaires de studios italiens, anciens fascistes notoires (voir Le Livre de Losey, l’indispensable somme d’entretiens menés par Michel Ciment, disponible chez Ramsay Poche), le film tient à la fois de l’autobiographie immédiate d’un cinéaste dont la situation dramatique se rapproche de celle de son personnage et de la rencontre fortuite de deux traditions cinématographiques guère destinées à se mêler : la série B américaine et le néoréalisme italien.
Avec son air traqué et ses paupières tombantes, lourd de tout le mythe hawksien et d’une aura hollywoodienne passée, Paul Muni incarne à la perfection le gangster en déroute, confronté à un univers qui lui est radicalement étranger, celui de De Sica ou De Santis, plein d’enfants aux pieds nus, de mères exsangues, de trafiquants pitoyables, de filles déjà à moitié perdues et de vilains suborneurs flasques. Un Homme à détruire, c’est un héros de William Irish précipité dans un roman de Malaparte. Si le film n’échappe pas toujours à un sentimentalisme facile (le rapport père/fils qui s’instaure entre Muni et le petit garçon) et à une certaine lourdeur symbolique, il impressionne par sa violence descriptive. Losey filme l’Italie de la reconstruction chaotique avec la même acuité que les contradictions névrotiques de l’Amérique victorieuse. Et quand Muni répond « Je suis fatigué » à un flic qui lui ordonne de dégager, on croit entendre la voix de Losey lui-même, bientôt expulsé d’Italie vers la France, sur ordre de la CIA et de ses propres commanditaires italiens. Losey disait détester ce film (« Ce fut un cauchemar ») et garder un fort mauvais souvenir de sa collaboration avec Muni, « exactement le genre d’acteur que je ne peux supporter ». Pourtant, s’il est loin de la qualité des films américains antérieurs et des futurs grands films anglais, Un Homme à détruire a conservé intactes ses qualités propres. Fait dans l’urgence et le désarroi, c’est un beau film sur l’instinct de survie.
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