Parcourir les champs avec un détecteur de métaux dans l’espoir d’y trouver des trésors tout en discutant à distance avec une vieille amie qui se pose des questions sur sa vie : tel est le programme étonnant du nouveau jeu du designer d’Everybody’s Gone to the Rapture.
Vous êtes seul·e dans un champ que vous traversez lentement d’un bout à l’autre à la recherche de… de quoi, d’ailleurs ? Ce n’est pas très clair. De rien en particulier, et de beaucoup de choses en même temps. Ce qui est sûr, c’est que c’est Beth, une vieille amie – un ancien amour ? –, qui vous l’a demandé. Et qui vous a remis, à vous, Adam, ce détecteur de métaux qui vous indique bientôt qu’il y a un “trésor” à proximité. Bip, bip, le voyant devient jaune, puis rouge. Encore un petit effort, Adam, tu brûles. Vite, la pelle, la truelle… C’est un piquet de tente ! Ou une barrette, une cloche de vache, une capsule de bouteille. Une broche, une pédale de vélo. Une fermeture éclair. Un coup de poing américain.
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Conçu par le game designer Andrew Crawshaw, The Magnificent Trufflepigs s’inscrit dans le prolongement des productions qui ont fait connaître le studio The Chinese Room (pour lequel il avait travaillé jusqu’en 2017) Dear Esther et Everybody’s Gone to the Rapture. Des walking simulators très écrits, aventures envoûtantes bien qu’à l’interactivité limitée dans lesquelles notre première tâche est de marcher. Du tempo très posé naît une disponibilité, celle-là même que, dans le monde réel, on peut connaître au cours d’une promenade en pleine nature. Alors on regarde autour de soi, on écoute, on cherche des signes, des indices et on se retrouve bientôt transporté·e beaucoup plus loin que là où l’on pensait arriver.
Tournant
Peut-être encore plus proche, par sa façon d’installer un dialogue à distance entre notre personnage équipé d’un talkie-walkie et cette Beth que l’on ne voit jamais à l’écran, du très beau Firewatch, The Magnificent Trufflepigs repose sur les mêmes principes. Nous sommes dans la campagne anglaise, il fait beau, les heures passent. On regarde le sol, notre détecteur, et on se laisse prendre au jeu jusqu’à quémander du rab de temps à Beth quand elle nous propose une pause-déjeuner en sa compagnie. Et, peut-être justement parce qu’on se concentre sur une action simple et répétitive, ce que la jeune femme dit nous atteint singulièrement.
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Beth parle de son travail dans l’entreprise familiale. Va-t-elle être choisie pour succéder à son père ? Le souhaite-t-elle vraiment ? Elle évoque aussi son mariage à venir, bien qu’avec réticence. Mais où est son fiancé ? La noce est-elle toujours d’actualité ? Tout laisse à penser que la jeune femme est à un tournant de sa vie. Arrêtée au carrefour, à se questionner sur la route à prendre. Pendant ce temps, on parcourt les champs comme on le sent. En ligne droite, méthodiquement. Ou en cercles de plus en plus serrés. On évalue la puissance du détecteur pour savoir où passer en étant sûr·e de ne rien rater. Et puis un jour, tant pis, on y va au hasard. En regrettant un peu, juste comme ça, que notre passage ne plie par l’herbe d’une manière visible. On aurait bien aimé dessiner des trucs au sol. Laisser une trace derrière nous.
Collectionnite
L’un des reproches récurrents que leurs détracteurs font aux walking simulators est qu’ils ne seraient pas de “vrais jeux”, qu’il leur manquerait certains ingrédients essentiels de l’expérience vidéoludique. Par les objectifs même qu’il nous fixe, The Magnificent Trufflepigs semble leur répondre malicieusement, car quel meilleur signe distinctif du jeu vidéo, souvent moqué pour son encouragement à la collectionnite, que cette chasse au trésor ininterrompue dans laquelle il nous entraîne ? Sauf qu’ici – et c’est une forme assez plaisante de transgression –, les objets découverts n’ont aucune utilité pratique. Même la clé que l’on en vient à trouver ne sera utilisée pour accéder à aucune nouvelle zone secrète, à aucun champ caché ne demandant qu’à être sillonné.
Et puis si, en fait : ils s’apparentent justement tous à des clés, sauf que les portes qu’ils ouvrent ne sont pas matérielles mais plutôt (senti)mentales. Quelles que soient nos trouvailles, on les photographie pour envoyer leur image à Beth qui, la plupart du temps, nous appelle immédiatement. Alors reprend la conversation entre elle et nous, relancée par l’un ou l’autre de ces objets exhumés qui rappellent quelque chose du lieu et de ceux et cemlles qui l’habitent. Ce peut être drôle, émouvant ou inquiétant. C’est toujours une nouvelle voie, un nouvel élan. Toujours une nouvelle étape, même discrète, du dévoilement. Le plus fort étant que l’essentiel, ce qui se dit et ce qui se joue, demeure non représenté et, dans les deux sens du terme, hors-champ.
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Pirouette
Jeu assez bref mais marquant auquel on ne reprochera vraiment que de se révéler un peu trop sage et guidé là où il aurait pu nous laisser davantage seul·e avec nous-même, The Magnificent Trufflepigs a aussi pour particularité d’être le deuxième titre édité par la branche jeu vidéo du groupe américain AMC Networks qui détient notamment les chaînes de télé AMC (connues pour des séries comme Mad Men ou The Walking Dead) et Sundance TV. Le premier, Airplane Mode, avait surpris il y a quelques mois par son approche plus qu’originale du simulateur de vol, car c’est à la place d’un·e passager·ère d’avion de ligne qu’il nous installe pour une durée comprise entre 2 et 6 heures selon la destination choisie. Avec cette nouvelle parution semble se dessiner une politique éditoriale assez intrigante qui rappelle un peu celle d’Arte en matière de jeux vidéo. Accessibles mais originaux, expérimentaux sans être intimidants. Adultes dans le meilleur sens du terme, ces deux premiers jeux rendent très curieux de ce qui viendra ensuite.
Un autre point commun entre les deux œuvres : la place singulière qu’y occupe celui ou celle qui tient la souris ou la manette. S’il serait dommage de dévoiler la fin de The Magnificent Trufflepigs, on dira quand même que le rôle du personnage d’Adam, c’est-à-dire le nôtre, ne s’y révèle pas moins central, pas moins mystérieux, pas moins digne d’être creusé que celui de Beth. Et que ce jeu doux-amer nous laisse sur une bien jolie pirouette.
The Magnificent Trufflepigs (Thunkd / AMC Games), sur Windows. A paraître sur Switch.
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