Une comédie sur un vieil immigré ou l’adaptation d’une série qui joue sur les différences religieuses : un nouveau cinéma lié à la communauté turque cartonne en Allemagne. Sa formule, nous explique le réalisateur Bora Dağtekin: « rire des conflits culturels ».
Derrière les super-stars locales (l’acteur réalisateur Til Schweige et son Kokowaah) ou les blockbusters U.S (Very Bad Trip 2, Fast and Furious 5 en tête), un petit film est venu perturber le box-office allemand de 2011. Avec plus d’un million d’entrées cumulées depuis sa sortie en mars dernier, et plus de onze millions de dollars de recettes, Almanya, Willkommen in Deutschland se hisse à la neuvième place du box-office, la deuxième pour un film allemand. Particularité: sa réalisatrice, Yasemin Samdereli, est d’origine turque; et cette comédie sociale évoque le retour au pays d’un travailleur immigré installé en Allemagne depuis les 60’s.
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Récompensé d’un LOLA (l’équivalent teuton des Césars), Almanya, Willkommen in Deutschland consacre une nouvelle tendance à succès du cinéma allemand: des films réalisés par la deuxième, troisième génération d’immigrés turcs, sur des sujets liés à la diaspora -mais traités sur le modèle de la comédie grand-public. Plébiscité au box-office, ce petit phénomène intervient dans un climat de crispation nationale (amorcé l’année dernière par la publication du pamphlet xénophobe de Théo Sarrazin) et relance le fameux «Multikulti» allemand un peu vite enterré par Angela Merkel.
http://youtu.be/t_yXCe3wDF4
Du pur entertainment
« La comédie turco-allemande Almanya agit comme une réponse directe à la thèse de Théo Sarrazin » annonçait le Der Tagesspiegel à la sortie du film, alors que le quotidien Die Welt félicitait le choix de la réalisatrice Yasemin Samdereli de «rire du débat sur l’immigration». Un choix de l’humour et du pur entertainment revendiqué aussi par Bora Dağtekin, un téléaste allemand d’origine turque, créateur de la série Türkisch für Anfänger (diffusée en 2008 sur Canal +), dont il a réalisé une adaptation qui devrait prochainement sortir en salles.
« Le fait est qu’il y a peu de cinéastes turcs en Allemagne qui font des comédies ou des divertissements familiaux, explique Bora Dağtekin aux Inrocks. Les sujets liés à l’immigration sont le plus souvent traités dans des films d’auteur ou des drames sur des femmes opprimées: nous devons sortir de ce schéma. »
Créée en 2006, sa série devenue culte en Allemagne Türkisch für Anfänger (52 épisodes déclinés en 3 saisons sur la chaîne Das Erste) occupait précisément ce sillon de l’humour démystificateur. Sur le modèle un peu vieillot de Notre Belle Famille, la série suivait les déboires d’une famille recomposée germano-turque (façon choc des cultures dans la cuisine), tordant les clichés rebattus sur l’immigration avec un certain plaisir caustique. Tout y passait: de l’islam intégriste, au sexisme ou au racisme quotidien, mais « le public réagissait toujours positivement » insiste Bora Dağtekin.
http://youtu.be/2H5hEXFFW0E
Une demande du public
Bora Dağtekin représente bien cette nouvelle école de réalisateurs d’origine turque (tous nés en Allemagne, de la deuxième ou troisième génération d’immigrés) biberonnés aux blockbusters et aux séries U.S. « Ce sont des cinéastes passionnés, de bons auteurs et des gens qui maîtrisent les outils marketing » précise-t-il. Et qui ont su répondre à une demande pressante de la communauté turque allemande (estimée à 4 millions de personnes, et autant de spectateurs potentiels) qui réclamait une nouvelle forme de représentation (i.e ailleurs que dans les colonnes politiques du Bild).
« Les spectateurs sont favorables à une vision ironique de sujets trop souvent interprétés de manière dramatique. Moi je suis persuadé que les différences religieuses et culturelles ont un certain charme et peuvent être des ressorts comiques très efficaces. J’aime travailler dans le registre de la comédie, mais en y insérant un élément subversif », explique Bora Dağtekin.
Le film adapté de sa série, intitulé Turkish for Beginners, reprendra donc tous les éléments qui ont fait le succès du show: « une histoire d’amour qui réunit deux familles que tout oppose, contraintes d’évoluer l’une au contact de l’autre ». Mais Bora Dağtekin refuse mordicus le statut de cinéaste politique: son film est avant tout un « objet de divertissement » destiné au grand-public. Prévu pour une sortie en salles fin 2011, Turkish for Beginners devrait confirmer la bonne année du cinéma turc en Allemagne.
Romain Blondeau
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