Les socialistes ne comptent pas laisser à l’actuel Président le monopole des idées sur le numérique. Ils dévoilent leur programme construit autour de plus de liberté et inventent la notion de “couverture numérique universelle”.
Le PS dévoile ce mercredi 22 juin au 104 à Paris l’ensemble de son programme numérique, dont Les Inrockuptibles se sont procuré une copie. Une quarantaine de points, répartis en six chapitres, au nom d’une « société créative » qui permettra une couverture numérique universelle et « le droit à la connexion » avec « la neutralité d’internet », la « redéfinition des modèles économiques » de la création (abrogation des lois Hadopi et Loppsi) et la mise en place d’une « contribution individuelle au financement de la création » payée par les internautes.
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Après le fossé qui s’était instauré entre une partie des artistes et le PS sur la création, le numérique et les droits d’auteur lors du vote sur la loi Hadopi en 2009, les socialistes ont voulu reprendre la main. Pas question de laisser le champ libre à Nicolas Sarkozy dans le débat sur le numérique et de le laisser mener la danse après la tenue d’un e-G8 fin mai. Un an avant la présidentielle, le PS compte bien participer au débat. « C’est un grand sujet de civilisation », confie Christian Paul en charge du Laboratoire des idées au PS et qui a planché, avec d’autres – élus, chercheurs et think tanks -, sur cette question à la demande de Martine Aubry.
« Depuis une bonne dizaine d’années, on s’attendait à ce que cette question devienne un sujet politique de premier rang. Aujourd’hui, les citoyens attendent des partis politiques qu’ils aient une vision du numérique, pas seulement comme un phénomène technologique qu’il faut réguler, mais qu’ils apportent des réponses aux transformations démocratiques, culturelles et d’organisations de travail que cela pose. »
Abrogation des lois répressives
Point le plus important, le PS souhaite repenser les modèles économiques de la création et de l’information en abrogeant notamment les lois « répressives » comme Hadopi et Loppsi. Rien de nouveau puisque le PS l’avait déjà envisagé mais au moins l’engagement est-il cette fois affirmé. La loi Hadopi est d’ailleurs rendue caduque aujourd’hui par la pratique quotidienne de téléchargement des internautes et par les techniques qui existent, toujours plus inventives, pour la contourner.
Même Nicolas Sarkozy s’était dit prêt, fin avril, à une remise à plat de la loi Hadopi, reconnaissant une part d’erreur du gouvernement dans la genèse de ce dispositif. Il avait affirmé, chose rare de sa part : « Je prends d’ailleurs ma part de l’erreur. » Restait à savoir dans ce contexte consensuel, ce que le PS comptait proposer comme « nouveaux financements » pour repenser les modèles économiques et notamment le système de rémunération des créateurs. C’est là la nouveauté d’un texte qui tente de mettre fin au conflit entre créateurs et internautes.
Il prévoit une « contribution individuelle au financement de la création, qui doit rester modeste et pourrait devenir socialement progressive » et des « prélèvements sur les fournisseurs d’accès à internet (FAI) et les opérateurs de télécom ». De quoi permettre une meilleure compréhension entre le PS et les créateurs, pour une reprise du dialogue. Des créateurs qui selon Christian Paul « n’ont pas déserté la gauche ».
Garantir la neutralité d’internet
Au-delà de l’Hadopi, c’est un programme du numérique plus général que les socialistes mettent sur la table en avançant grands principes et propositions concrètes. Ainsi, le PS affirme-t-il la nécessité de la liberté et de la neutralité d’internet « afin de garantir l’intérêt général, face au risque de confiscation du net ».
« Nous inscrirons ou réaffirmerons par la loi les grands principes d’une société de l’information ouverte, comme la neutralité du net, l’interopérabilité, la liberté d’expression, le droit à l’oubli, le droit au respect de la vie privée et à la protection des données personnelles », peut-on lire dans les propositions du PS.
Le renforcement des missions et du budget de la Cnil (Commission nationale de l’informatique et des libertés) est ainsi réaffirmé pour y contribuer.
Le Parti socialiste souhaite aussi tirer bénéfice de la révolution numérique qui se joue, notamment dans le domaine public. C’est ce que le PS appelle « la démocratie internet » en proposant la modernisation et la personnalisation des services publics, la mise à disposition progressive et gratuite des données publiques, la création d’une fondation e-démocratie, un organisme indépendant qui permettrait d’organiser efficacement le soutien à la cyberdémocratie dans le monde (hébergement de sites censurés, kit de protection contre la censure, redéploiement des réseaux en cas de coupure, internet sécurisé…). Les révolutions arabes de ces derniers mois sont passées par là et ont semble-t-il influencé ce projet.
Couverture numérique universelle
En cas de victoire de la gauche à la présidentielle en 2012, les socialistes réaffirment aussi leur volonté de voir se dessiner une France du très haut débit, avec une « couverture numérique universelle » : c’est le « droit à la connexion » quel que soit le point d’accès en France. Ce meilleur maillage pourrait être possible grâce une hausse des investissements publics (Etat, collectivités territoriales, régions, départements, financements européens), en complément des investissements privés, à hauteur de 30 milliards d’euros sur dix ans pour généraliser le très haut débit en France, par un plan de déploiement de la fibre optique.
Pour éviter l’exclusion de centaines de milliers de familles encore non reliées à internet, faute de moyens financiers, les socialistes prônent l’instauration d’un « forfait de base permettant l’accès au net seul à un coût abordable inférieur à 10 euros par mois et libre d’être rompu à tout instant », ainsi que « le soutien public à l’équipement en matériel des Français, en particulier des élèves et des familles les plus vulnérables ». Des idées qui pour le coup ne sont pas révolutionnaires. Elles figuraient dans le plan de développement de l’économie numérique du gouvernement, sous la plume d’Eric Besson, alors secrétaire d’Etat à l’économique numérique, en octobre 2008 :
« Chaque Français, où qu’il habite, bénéficiera avant 2010 d’un droit d’accès internet haut débit à un tarif abordable, de l’ordre de 35 euros par mois, équipements d’accès inclus. »
Des paroles non suivies d’effets à en croire Christian Paul qui explique « qu’aujourd’hui le déploiement est désordonné et qu’il faudrait vingt ans, si l’on suit la politique du gouvernement, pour parvenir à une couverture égalitaire du net sur le territoire ».
« En France, Facebook n’aurait eu droit à aucune aide publique »
Une fois ce tableau dressé, le PS passe du côté technique au côté artistique. C’est « la société créative » qu’il appelle de ses voeux pour « soutenir des équipes et des entrepreneurs innovants ». Tant au niveau des start-up et PME, que des grandes entreprises en repensant les dispositifs d’aide « qui doivent aller aux innovations d’usage et non aux seuls investissements technologiques. En France, Facebook n’aurait eu droit à aucune aide publique… », ironise le PS. En même temps, on peut se demander si Facebook en aurait eu besoin… Mais pour le PS, si la France veut briller dans l’économie du numérique, encore faut-il qu’elle adapte ses outils.
Les socialistes s’interrogent aussi, sans trancher le débat, sur l’absence de prélèvement qui existe aujourd’hui pour des grands groupes tels que Google ou Facebook privant « la France de ressources, et pénalisant les acteurs français du net ». Dès lors, sans trouver la réponse à ce problème, le PS invite à « construire des solutions durables, après un débat européen, pour la fiscalité en ligne ».
Marion Mourgue
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