De film en film, Ewan McGregor se révèle. Rencontre avec un comédien très connu mais pas encore assez reconnu.
L’acteur est connu depuis longtemps, deux décennies. Au coeur des années 90, Ewan McGregor a incarné le lad britannique, un peu mauvais garçon (Petits meurtres entre amis, Trainspotting), mais surtout très joli coeur. Un peu trop simplement photogénique, au risque d’une certaine fadeur. Mais au fil des films hollywoodiens, que l’acteur enchaîne dans les années 2000, passant des bras de Nicole Kidman (Moulin Rouge) à Scarlett Johansson (The Island), campant le jeune Obi-Wan Kenobi avec une belle anxiété de mentor dépassé par son élève dans la nouvelle trilogie Star Wars, ce qui semblait au départ un manque de saillant s’est transformé en une belle transparence.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Ewan McGregor peut tout jouer mais avec mesure. Aucune trace d’outrance Actors Studio chez lui, et pas non plus tellement de théâtre britannique. Il évoque plutôt les grands ordinary men du Hollywood classique, James Stewart, Henry Fonda… L’an dernier, The Ghost Writer de Roman Polanski le révélait au sommet absolu de son art, tout en retenue tendue et réserve intrigante. Dans Beginners de Mike Mills, il est très émouvant en jeune quadra en pleine middle life crisis.
Aimez-vous James Stewart ? La mesure de votre jeu, ce côté aimable, presque lisse, qui vous caractérise, évoque pour nous cet acteur…
Ewan McGregor – Oui, c’est un de mes deux ou trois acteurs préférés de tous les temps. Ça a toujours été pour moi un incroyable modèle. Dans les films de Capra, et surtout dans La vie est belle, il incarne vraiment celui que tous les hommes devraient avoir envie d’être, à la fois monsieur Tout-le-monde et un modèle. Mais la carrière de Stewart ne se réduit pas à ce côté universellement aimable, elle est plus riche et plus complexe. Dans certains westerns d’Anthony Mann, comme L’Appât ou Winchester 73, il montre une facette de lui beaucoup plus dure. Il peut se comporter comme un enfoiré. On n’aimerait vraiment pas qu’un type comme lui se mette en colère contre vous ! (rires) Dans Sueurs froides d’Hitchcock, sa composition est également très sombre.
Dans Big Fish de Tim Burton, vous interprétez Albert Finney jeune. Dans Star Wars, vous êtes Alec Guiness jeune. Quel rapport entretenez-vous avec ces grands comédiens anglais, au jeu très opposé à celui, plus économe, d’un James Stewart ?
J’ai grandi en regardant leur travail. Très jeune, je me suis mis à voir des films anciens, notamment des classiques anglais. Sur le tournage du Burton, je me suis formidablement bien entendu avec Albert Finney. En revanche, je n’ai jamais rencontré Alec Guiness, qui était déjà mort lorsque j’ai tourné les Star Wars. Je devais y jouer Obi-Wan Kenobi jeune, dont il avait interprété vingt ans plus tôt les dernières années. Ça me donnait une bonne raison de me plonger dans son oeuvre. J’ai revu bon nombre de ses films et j’ai été sidéré par sa capacité à créer un personnage, par son sens de la transformation.
Sur le tournage des Star Wars, j’étais obsédé par l’idée de rendre crédible le fait que lui et moi constituions une même personne à deux stades de sa vie. Ce n’était pas facile parce que sa voix et sa diction sont très particulières. J’ai fait de mon mieux.
Pensez-vous qu’il y a une essence de l’acteur anglais et de l’acteur américain ?
Je ne sais pas, je suis écossais (rires).
Avez-vous débuté par le théâtre classique, par exemple ?
Oui, bien sûr. La tradition théâtrale est très forte en Angleterre et pas vraiment aux Etats-Unis. A Los Angeles, on ne trouve pratiquement pas de théâtres. Je ne comprends toujours pas pourquoi : il y a tellement de putain d’acteurs dans cette ville ! Du coup, s’ils ne tournent pas, ils bossent dans des restaurants ! Ils seraient mieux sur une scène. Mais il paraît que les Californiens aiment trop se coucher tôt pour aller au théâtre (rires). Moi, j’ai quitté l’école à 16 ans et j’ai pris des cours de théâtre pendant quatre ans. J’ai obtenu des petits rôles sur scène puis j’ai été engagé sur une série télé. C’est alors que Danny Boyle m’a découvert.
Avec Petits meurtres entre amis, il a fait de vous une vedette. Parlez-nous de votre relation.
Petits meurtres entre amis était à la fois mon premier rôle important au cinéma et son premier film. Nous découvrions tout ensemble et nous le faisions en nous amusant. Je ne soupçonnais pas que le film allait avoir un tel retentissement. Nous l’avons présenté au festival de Sundance, et c’est là que Danny m’a fait lire le scénario de Trainspotting. Il m’a bien précisé qu’il ne me proposait pas le rôle, qu’il voulait juste mon avis. Le scénario était une bombe, le plus gros choc de ma vie. J’ai tout fait pour le persuader que je devais faire le film.
http://youtu.be/WACNj5RUHe8
Aujourd’hui encore, Trainspotting reste l’expérience la plus parfaite de ma vie. Le tournage fut un moment de grâce inouï, on tournait les scènes en une prise et tout marchait. C’était rapide, énergique. Le film a capté avec une puissance dingue ce qu’était l’Angleterre des années 90, celle de la britpop, Tony Blair, Blur et Oasis… C’est une chance exceptionnelle d’avoir pu incarner quelque chose de ce moment particulier de la société britannique. Après, nous sommes partis pour les Etats-Unis tourner Une vie moins ordinaire. Ça ne s’est pas très bien passé. On voulait réussir une comédie romantique mieux que ne le font les Américains et je crois que nous n’y sommes pas parvenu. Mais c’était cool de jouer avec Cameron Diaz. Depuis, je n’ai plus tourné avec Danny. Mais, qui sait, peut-être que ça reviendra…
La britpop, c’était votre culture ?
Complètement. J’aimais à la fois Blur, Oasis, Pulp. Radiohead aussi, passionnément…
Aux Etats-Unis, vous avez tourné un autre film sur le rock anglais, des années 70 cette fois : Velvet Goldmine de Todd Haynes…
Là, pour le coup, ce n’était pas ma culture. Je n’avais pas beaucoup écouté de glamrock avant Velvet Goldmine. Je connaissais un peu Bowie mais pas cette période. Et beaucoup de groupes glam ne me semblent pas très bons, leur look est en plus assez embarrassant. Mon personnage était un hybride d’Iggy Pop et de Lou Reed. J’ai adoré m’inspirer d’eux. Je me suis senti pendant quelques mois dans la peau d’une rock-star, ce que j’ai longtemps rêvé d’être.
Qu’est-ce qui vous a intéressé dans le scénario de Beginners ?
Il m’a beaucoup touché. D’abord bien sûr ce questionnement qu’entraîne la découverte pour un homme adulte de l’homosexualité de son père. Le scénario décrivait de façon très belle le regard rétrospectif sur l’enfance du personnage que provoque cette révélation. Toute sa vie a-t-elle été un mensonge ?
Comment avez-vous campé la crise existentielle de votre personnage ?
J’ai compris dès la lecture que Mike avait mis beaucoup de lui-même et de son histoire avec son père dans ce scénario. Mais j’ai deviné qu’il n’avait pas envie que je le personnifie à l’écran. Alors j’ai essayé d’oublier tout ce qu’il était. Je lui ai demandé de lire à voix haute son scénario et de s’enregistrer. Pendant le tournage, j’avais sa voix sur mon ordinateur, énonçant chaque scène. Ça m’a beaucoup aidé de l’entendre. J’ai pu intérioriser certaines scènes, mieux cerner les intentions de telle ou telle réplique. C’était plus profond que simplement essayer de capturer quelque chose de sa façon d’être ou de ses attitudes dans la vie.
Récemment, on vous a vu dans un film très différent, I Love You Phillip Morris. Etait-ce difficile d’exister face au jeu bigger than life de Jim Carrey ?
Non. L’idée était que nous soyons complémentaires. Jim Carrey joue un personnage très flamboyant, un homme qui joue tout le temps la comédie, trompe les autres, les manipule. Mon personnage appelait un jeu plus retenu. Je devais incarner le désir de normalité. Par ailleurs, je n’aurais pas pu faire ce que fait Jim Carrey. Il travaille comme un forcené pour rendre la moindre réplique drôle, surprenante… Je n’en suis techniquement pas capable.
Quels cinéastes vous ont marqué ?
Oh, c’est difficile ! J’ai adoré tourner avec Peter Greenaway dans The Pillow Book, moins pour ce film en particulier que pour certains de ses précédents, qui m’avaient beaucoup marqué. J’ai été très fier de tourner pour Woody Allen et Roman Polanski. Mais aussi avec un cinéaste moins connu comme David Mackenzie pour Young Adam, auquel je suis très attaché. Beginners de Mike Mills a aussi été une belle expérience.
Parlez-nous de Roman Polanski…
Avant de rejoindre le plateau de The Ghost Writer, je n’avais pas lu beaucoup de choses sur sa façon de travailler. Je ne savais pas qu’il était aussi perfectionniste, presque maniaque. C’est fou le temps qu’il passe à préparer un plan, à contrôler le moindre objet dans le cadre. Il vérifie tout plusieurs fois, s’agite pour changer un détail qu’on distingue à peine. Puis il lance la prise et à peine a-t-on dit la moitié d’un mot qu’il vous coupe en hurlant : “Noooon !”
Au début on dit “What the fuck !?” En plus, il est très abrupt, pas du genre à dire “Mon chéri, c’est vraiment très très bien, mais…” Il dit tout ce qu’il pense. Au début, c’est un peu choquant. Mais quand je me suis rendu compte qu’il parlait comme ça à tout le monde, que ce n’était pas personnel, je m’y suis fait. Même avec l’équipe technique composée de Polonais qu’il adorait, avec qui il déconnait tout le temps sur le plateau, il se montrait implacable pendant les prises. Et puis, bon, c’est quand même un putain de metteur en scène. La façon dont il stylise le moindre de vos gestes, rend tendu et plein un plan où vous êtes juste en train de boire un café, c’est quand même très fort.
La postproduction du film a eu lieu dans le chalet où il était assigné à résidence. Vous y êtes-vous rendu ?
Je n’avais plus rien à faire sur le film à ce moment-là. Mais je suis allé en Suisse plusieurs fois pour lui rendre visite. Polanski est peut-être le cinéaste avec qui j’ai eu l’expérience de tournage la plus intense. Parce que ça a duré quatre mois, qu’on s’est vus tous les jours, loin de chez nous, que je suis quasiment dans tous les plans. Et je suis très satisfait de mon travail. C’est du pur underplaying, je joue très léger, et c’est la mise en scène qui construit tout. Un peu comme James Stewart chez Hitchcock. D’ailleurs, même si on ne s’en est pas parlé, je suis sûr qu’il avait aussi cette référence en tête.
{"type":"Banniere-Basse"}