Le professionnel. La Cinémathèque rend hommage à Don Siegel, artisan impeccable dont la lucidité prosaïque a fait le joint entre l’âge classique et l’âge moderne d’Hollywood. Cet hommage bienvenu à Don Siegel permet de réévaluer une trajectoire exemplaire du cinéma américain. Formé par les studios, Siegel a connu la fin du Hollywood classique, oeuvré pour […]
Le professionnel. La Cinémathèque rend hommage à Don Siegel, artisan impeccable dont la lucidité prosaïque a fait le joint entre l’âge classique et l’âge moderne d’Hollywood.
Cet hommage bienvenu à Don Siegel permet de réévaluer une trajectoire exemplaire du cinéma américain. Formé par les studios, Siegel a connu la fin du Hollywood classique, oeuvré pour la télévision, puis contribué à redéfinir un cinéma de genre en pleine mutation. Outre les (re)découvertes, on appréciera une versatilité qui excède le cadre du film d’action. Eclectisme de commande, sans doute, mais qui réserve des surprises : ainsi le court métrage inaugural Star in the night, conte de Noël d’une beauté tourneurienne qui rejoue la Nativité dans un désert américain de sable et de néon. Changement de décor avec The Verdict, le vrai premier film, délicieuse pochade victorienne où l’éternel tandem Peter Lorre/ Sidney Greenstreet se débat nonchalamment dans une intrigue policière aussi fumeuse que le décor est embrumé. Quant à The Big steal, projet monté de toutes pièces pour faire sortir de prison un Mitchum trop porté sur les cigarettes aromatiques, ça ne commence à Vera Cruz que pour s’aventurer sur les traces des frères Marx : qui n’a pas vu William Bendix bêler face à un troupeau de moutons, ou Jane Greer jouer à am-stram-gram l’itinéraire d’une poursuite, a encore devant soi de grands moments de jubilation incrédule…
Cette veine désinvolte courra tout au long de la carrière de Siegel, patente dans Un Shérif à New York ou Sierra torride, épisodique dans les intermèdes comiques de ses films d’action. Car les années 50 le vouent peu à peu aux westerns et aux films noirs, qu’il aligne avec une discrétion d’artisan plus proche des De Toth, Karlson ou Boetticher que de ses contemporains Aldrich et Fuller, alors au sommet de leur inventivité baroque. Le classique siegelien de la période, ce sera plutôt L’Invasion des profanateurs de sépultures, traité de la paranoïa, mais surtout entreprise de questionnement des apparences dont on retrouve encore la trace de Volte/Face à Hélas pour moi.
C’est au tournant des années 60 que Siegel prend toute son envergure. Dans ce moment si attachant de transition entre l’ancien et le nouveau, où les genres affichent leur épuisement en en tirant toutes les conséquences formelles, il fait le lien entre les maîtres classiques, Hawks ou Walsh, et les héritiers iconoclastes, Peckinpah puis Eastwood. Il reste un conteur dont on loue le savoir-faire mis au service d’une économie du récit. Ses héros lui ressemblent, professionnels compétents et exigeants. Si ce n’est que les films ne cessent de démentir cette image harmonieuse, soit par la dérision des situations et l’ambiguïté morale des protagonistes, soit parce que les valeurs affichées tournent elles-mêmes à la névrose, dont Dirty Harry est bien sûr l’incarnation emblématique : le professionnalisme se fige en fétichisme, la défense du Bien adopte les attitudes du Mal ou vire au calvaire masochiste. Il y a chez plus d’un héros siegelien comme une fièvre qui le consume. A moins qu’il ne soit victime passive d’une dévoration : Les Proies retourne ainsi méthodiquement le personnage eastwoodien en le réduisant à un homme objet sadisé dans le huis clos d’un pensionnat de jeunes filles.
Dans A bout portant, remake des Tueurs de Siodmak, l’enquête n’est plus menée par un terne agent d’assurances mais par les tueurs eux-mêmes, moins par appât du gain que sous l’effet d’un vertige : celui de buter sur l’énigme d’une mort consentie, dans un monde où la seule valeur est la survie. Si le film est si beau (et si supérieur à son modèle), c’est dans sa manière de jouer malgré tout le jeu du genre (l’honneur des professionnels), tout en le minant par une sourde inquiétude, et surtout en forçant le code dans ses derniers retranchements, avec en leitmotiv la belle voix lasse de Lee Marvin qui répète : « We don’t have time. »
De fait, on n’a plus le temps. Véritable testament de Siegel, Le Dernier des géants achève le deuil du western avec une rage d’en finir aussi morbide que sans appel. Le cinéaste orchestre la mise à mort du genre et signe, presque trop consciemment, le dernier des westerns. Liquidation d’autant plus cruelle qu’elle s’en prend aux corps mêmes du cinéma classique : Bacall, James Stewart et surtout John Wayne dont ce serait, nécessairement, le dernier rôle le film devenant un documentaire sur l’agonie du Duke et la mort au travail. Et pourtant, loin de l’emphase du titre français, cela s’intitule, presque cliniquement, The Shootist : portrait d’un professionnel réductible à ses gestes mortifères, sans idéalisation possible. Cette lucidité prosaïque, c’était la grandeur de Siegel.
Serge Chauvin
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