Ours d’or à Berlin pour Une séparation, Asghar Farhadi semble tourner sans contraintes en Iran. Mais, comme dans son film, les apparences sont trompeuses.
Comment expliquer le paradoxe du cinéma iranien, avec des cinéastes emprisonnés ou interdits d’exercer comme Jafar Panahi, et d’autres comme vous qui semblent libres de tourner des films qui ne sont pourtant pas de la propagande pour le régime ?
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Asghar Farhadi – La censure n’est pas monobloc, tout dépend du fonctionnaire que vous avez en face de vous. C’est cette personne qui décide si vous pouvez tourner ou pas. C’est très diversifié. Parfois, des films qui ont l’air banal peuvent être censurés pendant des années, alors que des films dont on croit qu’ils risquent d’être interdits sont au contraire autorisés à être tournés et à sortir sur les écrans. Il n’y a pas de cahier des charges précis sur ce qui est interdit ou pas, c’est extrêmement subjectif, ça dépend des goûts et des couleurs du censeur.
Dans ce filet, il y a des mailles à travers lesquelles on peut passer. Le truc, c’est de ne pas crier trop fort victoire quand on passe au travers. Il faut pratiquer ce jeu de loterie silencieusement. Heureusement pour moi, j’ai plutôt gagné au loto jusqu’à maintenant.
Les cinéastes iraniens collectionnent les prix dans les grands festivals. Cela représente-t-il un honneur ou une gêne pour le régime ?
Mon Ours d’or a été considéré comme un honneur par la presse cinéma et par l’intelligentsia. Les cinéphiles en sont fiers. Ils sont heureux quand l’image de l’Iran à l’étranger n’est pas celle d’un pays violent et arriéré. Les politiques, c’est différent. Un prix à l’étranger est plutôt source de doutes. Le système soupçonne toujours un jeu politique contre lui. Dans la vision de nos dirigeants, le monde international est notre ennemi présumé, jusqu’à preuve du contraire !
L’intelligentsia, le milieu cinéphile, ouvert, cultivé, n’est donc pas totalement écrasé par le régime ?
Non, c’est même le contraire. Le monde du cinéma en Iran est devenu plus fort, à un point que vous n’imaginez pas. Les Iraniens sont de plus en plus conscients du monde extérieur, ils sont au courant des choses. Ce qui est un peu triste, c’est que le monde extérieur n’a pas toujours conscience de l’évolution de la société iranienne. Quand on se balade à Téhéran, on est étonné par la vitalité artistique de la ville et la qualité des artistes iraniens. Les galeries d’art poussent comme des champignons à Téhéran.
Quand des films internationaux sortent sur les écrans, la presse iranienne en parle, les gens en parlent, ils suivent toute l’actualité culturelle du monde. L’enfermement est contre-productif pour le pouvoir, il a assoiffé la population, qui a envie de suivre au plus près l’évolution du monde.
Quels sont les films, les cinéastes qui vous ont marqué comme spectateur, voire influencé comme cinéaste ?
J’ai été marqué par les films en noir et blanc de mon enfance. Pas les films complexes, que je ne comprenais pas enfant, mais les films simples, touchants. Plus tard, quand j’ai vu La Strada de Fellini, je me suis dit que j’avais découvert aussi mon futur métier. J’ai été marqué également par des cinéastes iraniens malheureusement peu connus en France, comme Dariush Mehrjui. On a beaucoup comparé mon précédent film A propos d’Elly à du Antonioni, mais Antonioni m’a toujours semblé très abstrait, je ne suis jamais parvenu à entrer dans son univers.
Une séparation semble interroger la notion de vérité, montre que celle-ci a plusieurs facettes selon le point de vue de chacun.
La vérité n’est pas une notion abstraite. Elle surgit entre la personne qui la recherche et la personne qui la cache. Elle naît de la confrontation entre un fait et la subjectivité de la personne qui recherche quelque chose dans ce fait. Quand plusieurs personnes regardent un même fait, il y a plusieurs vérités.
Par exemple, le rapport à la mort diffère de personne en personne. La vérité n’est pas une chose absolue, mais relative.
Vos personnages vivent dans une tension permanente. Est-elle représentative de l’état actuel de la société iranienne ?
Cette tension est inspirée de ce que je perçois de Téhéran, où la vie est souvent tendue, conflictuelle, stressante. Si ces personnages vivaient dans une autre ville, avec un autre rythme, cela aurait sans doute influencé ma mise en scène.
Le film mélange fiction très écrite et éléments documentaires. Comment travaillez-vous ces deux registres ?
C’est une fiction, où tout a été préparé. Mais mon travail de mise en scène consiste à essayer d’effacer les traces de mon intervention. Le scénario et les dialogues étaient ultratravaillés, ultradétaillés, nous avons beaucoup répété avec les comédiens. Une fois sur le plateau, on a essayé de faire en sorte que tout sonne comme de l’improvisation, que tout soit le plus réaliste possible. J’appelle ça « effacer le réalisateur ». Ça ne veut pas dire que le réalisateur n’a plus rien à faire : au contraire, c’est un travail très difficile que de ne pas montrer sa présence à l’écran.
Les acteurs sont étonnants de puissance, d’intensité. Pour atteindre ce résultat, vous faites beaucoup de prises ?
Les prises ne sont pas le plus important. Ce qui compte, c’est tout ce qui se passe avant. Au lieu de mettre la pression sur les comédiens et les techniciens au moment du tournage en faisant de multiples prises, je préfère travailler longtemps en amont de la prise de vues, en préparant tout très soigneusement, sans caméra. Là, cette préparation a duré quatre mois, jusqu’à ce que je parvienne au résultat souhaité. Ensuite, le tournage apparaît presque comme une formalité. Les comédiens passent un bon moment sur le plateau : le plus difficile, c’est le travail en amont.
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