Oeuvre moderne au style épuré et traversée de plans à couper le souffle, Kardiogramma, du Kazakh Omirbaev, redonne sens à l’expression “magie du cinéma”. Deuxième film du Kazakhstan distribué en France, Kardiogramma relate les premiers émois sensuels de Jasulan, 12 ans, fils d’un berger de la steppe envoyé à la capitale pour des problèmes cardiaques. […]
Oeuvre moderne au style épuré et traversée de plans à couper le souffle, Kardiogramma, du Kazakh Omirbaev, redonne sens à l’expression « magie du cinéma ».
Deuxième film du Kazakhstan distribué en France, Kardiogramma relate les premiers émois sensuels de Jasulan, 12 ans, fils d’un berger de la steppe envoyé à la capitale pour des problèmes cardiaques. Amateurs de culture populaire et de traditions ethniques, passez votre chemin. L’intérêt du film ne réside pas dans son sujet (assez bateau), ni dans son histoire ou dans ses personnages (figures un peu opaques, en particulier le héros Jasulan). Ses qualités sont strictement cinématographiques et tiennent à la façon inspirée dont Omirbaev diffracte subjectivement la réalité. D’où une oeuvre moderne et froide, comme l’indique le titre médical du film. Graphisme étudié des cadrages, focalisation maniaque sur les détails aléatoires, les objets… Ne pas s’attendre pour autant à une expérience abstraite à la manière de l’insensé Les Anges déchus du casse-cou de Hong-Kong (voir critique page 47). Kardiogramma est au contraire une oeuvre posée, où les personnages évoluent dans une atmosphère épurée et où la psychologie compte moins que le regard silencieux du jeune Jasulan, être buté et mutique le seul à ne pas parler russe qui s’évertue à pénétrer l’alchimie du monde adulte, le mystère des formes féminines. Le point de vue des personnages eux-mêmes importe plus ici que le point de vue du cinéaste sur les personnages.
Peu de dialogues, peu d’événements, beaucoup d’ellipses. On ne verra rien d’une bagarre déclenchée chevaleresquement par Jasulan. Omirbaev semble surtout inspiré par les entre-deux, les creux du récit habituellement sacrifiés sur la table de montage. Les plus beaux moments du film sont ceux où le temps semble se suspendre et se dilater. Au bord de la route qui traverse le désert, Jasulan attend avec sa mère le bus qui va l’emmener à la capitale, où il rencontrera une solitude plus grande que dans sa steppe dénudée. La mère et le fils sont plantés comme des statues. Hiératisme des deux visages asiatiques. Silence. Plans de dos, puis de profil, d’une pureté à couper le souffle. Un peu plus loin, la caméra s’attarde minutieusement sur les détails de la marqueterie de pierre dont est constitué l’abribus. Un regard sur un univers microscopique en abyme dans l’infini de la plaine d’Asie centrale. Autre exemple infime et vertigineux à la fois, car il prête une vie autonome aux objets : une adolescente se pomponne dans sa chambre pour la boum de l’établissement. Mignonne mais très réservée. Elle se mire dans une glace ovale posée sur un meuble. Satisfaite, elle quitte la pièce. Mais la caméra ne la suit pas et reste rivée sur le miroir, qui commence à s’affaisser lentement et tombe à plat sur le meuble. Un des rares cas où l’on regrette que l’expression « magie du cinéma » soit si galvaudée.
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