Après un moment MeToo dont il a dû s’expliquer, Aziz Ansari centre la troisième saison de sa série sur un couple lesbien et fait disparaître son alter ego. Une odyssée intime de la parole et des corps.
En mai 2019, Aziz Ansari enregistrait un spectacle de stand-up à Brooklyn dans des conditions particulières. Un an et demi plus tôt, celui qui s’était fait connaître pour son rôle dans Parks and Recreation et la création de Master of None (plusieurs Emmy Awards à la clé) avait été accusé par une jeune femme répondant au pseudonyme de Grace d’avoir eu une “conduite sexuelle inappropriée” lors d’une nuit passée ensemble, tandis que l’intéressé parlait de “rapports consentis”.
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Au contraire de Louis C.K. à l’encontre duquel des enquêtes journalistiques fouillées ont mis au jour des faits d’agression, Ansari a simplement eu à s’excuser, soutenu par Netflix, qui a mis en ligne sans hésiter ce spectacle dans lequel Ansari évoquait l’affaire : “Parfois, j’ai eu peur, parfois je me suis senti humilié. A d’autres moments j’ai été embarrassé mais, au bout du compte, je me suis trouvé affreusement mal que cette personne ressente ce qu’elle a ressenti.”
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Le comédien-réalisateur-scénariste expliquait que ce moment lui avait peut-être permis de réfléchir à son comportement avec les femmes. Aziz Ansari: Right Now a été très bien reçu. Et voilà que trois ans et des poussières après l’arrivée de MeToo dans sa carrière, Ansari propose une nouvelle saison de sa série Master of None.
Laisser la place aux autres
Après deux salves d’épisodes brillants en forme d’autoportrait, où son personnage prénommé Dev tenait le haut de l’affiche (on suivait ses mésaventures sentimentales et amicales entre New York et l’Italie), Aziz Ansari met d’abord en scène une disparition. Celle de Dev, précisément, qui n’est désormais qu’un fantôme dans sa propre série – on le voit dans deux séquences presque anodines en cinq épisodes.
C’est l’idée forte de Master of None Presents: Moments in Love que de laisser littéralement la place à d’autres. Ansari reste la force créative principale, car il réalise et coécrit toute la saison, mais l’intrigue se consacre au couple formé par Denise et Alicia. La première, interprétée par Lena Waithe, avait été présentée comme l’amie d’enfance de Dev, notamment lors d’un épisode mémorable de la saison 2 autour de la construction de son identité lesbienne.
Nous la retrouvons quelques années plus tard, mariée à Alicia (Naomi Ackie, que l’on verra bientôt dans la peau de Whitney Houston dans un biopic très attendu), alors qu’elle a publié un premier roman à succès. Les amoureuses vivent dans une grande maison à quelques heures de New York.
“Scènes de la vie conjugale” lesbien
L’intrigue suit la déliquescence du couple et la force de leur lien malgré tout. D’un certain point de vue, Ansari et Waithe – qui ont coscénarisé les épisodes – offrent à un couple lesbien ses Scènes de la vie conjugale, une odyssée intime de la parole et des corps. Les scènes durent, souvent en plan fixe, faites d’échanges quotidiens et d’envolées émotionnelles, de danses, d’engueulades, de mélancolie et de solitude.
Le délitement d’une histoire se joue sous nos yeux, sans que rien ne puisse changer la donne
Le délitement d’une histoire se joue sous nos yeux, sans que rien ne puisse changer la donne, quand une divergence de points de vue sur le monde se dessine doucement, presque chuchotée. Alicia souhaite avoir un enfant. Denise ne fait pas preuve d’un enthousiasme fervent à cette perspective. Surtout, le réel s’obstine à tout compliquer : une tentative de fécondation artisanale – le sperme d’un ami dans une seringue – se solde par un échec.
A ce moment-là, au lieu de passer à autre chose, Master of None Presents: Moments in Love dévie légèrement de sa route toute tracée et accompagne Alicia dans sa quête de maternité. Le quatrième épisode, peut-être le plus beau, montre un processus de fécondation in vitro par le menu.
Une oasis de douceur
Telle est la force (intacte) de la série : sa manière d’errer narrativement au gré du vent qui porte ses personnages, son sens du détail, sa variété de rythmes et de sensations. Certains épisodes durent presque une heure, d’autres trente minutes, et tout semble naturel.
C’est l’intérêt d’Ansari réalisateur – on aimerait le voir s’atteler à un film – que de trouver une forme modeste mais tenue pour raconter son histoire. Autant dire que cette série anti-spectaculaire fait office d’oasis. Depuis quand Netflix n’avait-elle pas mis en ligne un objet aussi doux et extrême à la fois, si éloigné des tendances mainstream ?
Master of None Presents: Moments in Love d’Aziz Ansari avec Lena Waithe et Naomi Ackie. Sur Netflix
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