Entre marxisme mentholé et fable animalière, Morgan est une petite merveille sixties, une satire fantaisiste et sincère. Avec Morgan, a suitable case for treatment, sorti en 1966, on est déjà loin du réalisme social du free cinema dont Karel Reisz fut l’un des fers de lance. Nous sommes dans la subjectivité triomphante des Swinging Sixties, […]
Entre marxisme mentholé et fable animalière, Morgan est une petite merveille sixties, une satire fantaisiste et sincère.
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Avec Morgan, a suitable case for treatment, sorti en 1966, on est déjà loin du réalisme social du free cinema dont Karel Reisz fut l’un des fers de lance. Nous sommes dans la subjectivité triomphante des Swinging Sixties, qui aboutirent au courant psychédélique et à la furia gauchiste… On trouve ces deux tendances entremêlées dans Morgan, qui donne une idée de la mutation morale subie par la société en trente ans. En effet, par sa description du parcours schizoïde d’un jeune peintre d’origine prolétaire, Morgan Delt (David Warner, qui joue depuis les utilités à Hollywood), Reisz plaide pour un état d’enfance permanent, un rousseauisme mental qu’on taxerait immédiatement d’irresponsable aujourd’hui. L’enfant attardé, c’est Morgan qui, quand sa femme Léonie (Vanessa Redgrave), riche bourgeoise, demande le divorce, se livre au harcèlement le plus ludique qu’on puisse imaginer. Le film débute comme un docte documentaire sur les gorilles, puis entrecoupe sans cesse les activités erratiques du héros d’images d’animaux exotiques (singes, girafes, hippopotames, etc.) auxquels il associe ses semblables. Mais ici, il est moins question de caricaturer que d’opposer la liberté animale aux lois sociales… A cela s’ajoute la constante intrusion du folklore marxiste, autre lubie du personnage, dont la mère défend l’idéal communiste avec une gouaille irrésistible. Un des griefs exposés par Léonie lors du jugement du divorce est d’ailleurs la manie de Morgan de dessiner la faucille et le marteau sur tout ce qu’il trouve, y compris sur son caniche. Mais au-delà de ce ton burlesque, Morgan est nettement plus subversif qu’il n’y paraît. Car si le personnage, sorte de bouffon du Moyen Age transposé dans la société industrielle du xxe siècle, compare ses contemporains à des bêtes sauvages, c’est bien pour stigmatiser l’aliénation de leur nature profonde. De même, son marxisme fétichiste agit évidemment comme forme ultime de provocation à l’égard de l’establishment bourgeois que la seule vue de la faucille et du marteau suffit à paniquer. D’où une croyance religieuse dans le pouvoir symbolique de la politique… Ce jeu impertinent se complique encore par des références, toujours aussi subjectives, au cinéma. Des gorilles à King Kong, il n’y a qu’un pas, que Reisz fait franchir à son héros en truffant certaines scènes d’extraits de films. Morgan se prend tantôt pour Tarzan, tantôt pour le gorille escaladant l’Empire State Building. La farce confine alors au tragique : vêtu d’un costume de singe, avec lequel il a perturbé le remariage de sa femme, Morgan se noie quasiment dans la Tamise et achève son aventure donquichottesque maculé de boue, à demi mort parmi les détritus industriels, puis à l’asile. Bref, une satire d’une fantaisie profonde et d’une folle sincérité. Un témoignage précieux sur une époque où l’on croyait encore dur comme fer à la puissance du cinéma, de la politique, du rire et de la subversion. Ploum, ploum, tralala, etc.
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