En retraçant l’itinéraire en dents de scie d’un génie de la mode américaine, “Halston” trouble sa forme classique d’une profonde mélancolie, et rend son nom à un personnage qui en a été dépossédé.
Cet article comporte des révélations sur la série Halston.
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Lorsqu’on entame le visionnage de la mini-série éponyme diffusée sur Netflix, Halston constitue pour nos esprit européens une marque lointaine, un sigle obscur apposé sur une certaine idée de l’élégance à l’américaine qu’un chapelier ambitieux, Roy Halston Frowick, a entrepris au tournant des 70s de propulser dans la modernité à coup de tissus de luxe et de design minimaliste – le fameux “style de vie urbain décontracté”. Quand le dernier épisode de la série qui porte son nom s’achève, c’est devenu un visage d’une insondable mélancolie, aux yeux cernés de pattes d’oies qui semblent avoir été creusées pour recueillir nos larmes.
La singularité de Halston, par ailleurs inégale, tient à ce trajet du sigle à l’humain et de l’idée à l’émotion. Une résolution patiemment remise sur le métier, au fil des épisode, de rendre son nom à celui qui l’avait perdu, qui en avait été dépossédé par une industrie carnassière mais aussi, comme il l’a dit lui-même, dont il n’avait pas su prendre soin. Deux autres noms bien connus s’y appliquent pour lui : Ryan Murphy, showrunner stakhanoviste qui n’a de cesse de ramener la marge au centre pour réécrire une histoire queer de l’Amérique et adapte ici, avec Sharr White, le livre Simply Halston: The Untold Story de Steven Gaines; et l’acteur Ewan McGregor, qui prête au couturier son intensité et sa finesse d’interprétation.
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Un récit d’ascension et de chute à la facture classique
L’itinéraire hors du commun de ce gamin natif de l’Iowa devenu le couturier favori des plus grandes stars (Jackie Kennedy ou Bianca Jagger portaient ses créations) est retracé suivant la structure classique du récit d’ascension et de chute, que viennent électriser des bouffées d’extase et des crises vertigineuses. A la tête d’une équipe d’outsiders marginaux (“des gays, des drogués, des filles qui n’ont pas grandi”), Halston enchaîne les coups de génie dès la fin des années 60, noue des amitiés indéfectibles (notamment avec Liza Minnelli) et transforme sa vie en une fête perpétuelle, consumée dans les grandes heures du disco et du mythique Studio 54. Mais le doute ne cesse de le ronger. La pression de se réinventer en permanence se fait trop intense, les addictions s’installent et les ruptures se multiplient. Comme souvent, la succes story s’écrit sur le bord du précipice.
Force est de constater qu’à l’audace provocante à laquelle nous a habitué·e·s Ryan Murphy, Halston substitue un classicisme cousu de fil blanc, sans fulgurance ni emphase, et une mise en scène un peu terne marquée par une économie de moyens. Le créateur d’American Horror Story, Pose ou Glee officie cette fois en retrait, délaissant toute prétention de mise en scène pour se contenter d’une position de producteur exécutif et de scénariste occasionnel. Si son goût pour le camp, son éloge de la marginalité et son acuité socio-politique infusent les épisodes, ils semblent s’exprimer en sourdine, marqués par une forme d’essoufflement.
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Pris dans l’étau d’un contrat d’exclusivité signé avec Netflix, le nom de Murphy est devenu une marque reproduite à la chaîne, et il serait tentant de voir dans l’histoire du couturier désossé par la logique capitaliste une allégorie à peine déguisée de la place qu’occupe le showrunner dans l’industrie contemporaine des séries.
Une vulnérabilité émouvante
Ce qui nous touche dans la série malgré son caractère déceptif tient au sentiment que ses figures ont, dès le début, conscience de leur chute à venir. A peine lancée, la fête a déjà un goût de cendre froide et de coke périmée. Distillé avec délicatesse, ce poids du tragique est sédimenté par le personnage de Halston, dont l’insécurité profonde constitue le principal moteur (affectif, créatif, matériel). L’incompréhension à laquelle il se heurte stimule ses rêves de grandeur, et la peur de manquer d’argent et de soutien le pousse à nouer un pacte avec le Diable en signant un accord commercial qui le dépossède littéralement de son nom en échange d’une stabilité financière et d’une liberté créative qui se révèle, hélas, conditionnelle.
Ce rapport trouble à l’identité semble consubstantiel au couturier incarné par Ewan McGregor qui, dès les débuts de la série, façonne son image de créateur en travaillant son corps, son look et sa voix, s’inventant un personnage pour intégrer le monde dont il rêve. Cette figure finit par lui échapper, s’écaillant peu à peu au fil de la déchéance jusqu’à une forme d’humanité retrouvée.
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Au-delà de la finesse du regard qu’elle porte sur le métier de créateur et ses rapports contrariés avec l’industrie, Halston se révèle émouvante lorsqu’elle approche, avec tendresse, la vulnérabilité de son personnage. Les plus belles scènes de la série ne sont pas ses pics d’intensité mais les moments de vacillement discrets où le couturier glisse sans crier gare vers les sanglots : un test d’échantillon de parfum qui réveille le souvenir d’une enfance douloureuse, la lecture de critiques enfin favorables au crépuscule d’une vie, un dernier regard jeté sur l’océan…
“Je ne suis plus une personne, je suis une marque”, murmure un Halston amer du haut de son empire vacillant. La série lui rend, à nos yeux, une humanité touchante.
Halston, de Ryan Murphy et Sharr White. Avec Ewan McGregor, Krysta Rodriguez, Bill Pullman… En streaming sur Netflix.
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