Chantre des obscurs et des sans-grade, poète de la déréliction sociale, Kaurismäki ne serait-il pas un cinéaste chrétien qui s’ignore?
« Je n’oserais pas me regarder dans une glace si je ne faisais pas aujourd’hui un film sur le chômage », aurait déclaré Aki Kaurismäki à propos de
Au loin s’en vont les nuages. Réflexion valable
pour un grand nombre de ses œuvres, y compris
la dernière, L’Homme sans passé, qui traite de ce sujet, avec la même actrice principale, Kati Outinen. Dans Au loin s’en vont les nuages, celle-ci incarne Ilona, chef de rang dans un restaurant désert. Bientôt, elle et son mari, conducteur de tramway, vont perdre simultanément leur boulot. Cinéaste social dépressif et pessimiste, pour qui
le suicide et le meurtre sont monnaie courante,
et pour qui les employés les moins qualifiés sont les premiers à payer le prix de la stagnation commercialo-industrielle, Kaurismäki tempère son constat par la forme.
Un spleen cotonneux fondé sur la raréfaction
du dialogue, le jeu rentré des comédiens,
la lumière volontairement atténuée, s’empare
de ses films où la tristesse ambiante
et le marasme chronique font figure de norme poétique. Pour un peu, sans complètement assimiler son style dépouillé à celui de Robert Bresson, tout de même plus violent et tranchant que le sien, on pourrait classer Kaurismäki parmi les cinéastes chrétiens. Vivant dans la résignation et l’abnégation, ses héros proches de la sainteté sont isolés par des taches de lumière qui
les nimbent d’un halo pseudo-mystique.
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