Parution événement d’un volume de la correspondance d’Alain Robbe-Grillet, Nathalie Sarraute, Claude Simon et quatres autres entre eux·elles. Des affres de l’écriture au milieu littéraire, il dévoile les coulisses d’un mouvement qui n’en fut peut-être un que par intérêts communs.
Soixante-dix ans après ses débuts, le nouveau roman s’évoque auréolé des mêmes questions : s’agissait-il d’un véritable mouvement esthétique, le dernier en somme de l’histoire littéraire française, ou d’un hasard des calendriers pour une poignée de jeunes gens publiant des livres qu’il·elles voulaient novateurs ? Etait-ce un groupe littéraire, uni par une même théorie, ou une bannière artificiellement créée pour les rassembler aux éditions de Minuit par Alain Robbe-Grillet, fabriquer un buzz, exister ? Que partageaient vraiment les écrivain·es rassemblé·es sous l’étendard “Nouveau Roman” (terme employé pour la première fois par Bernard Dort) ?
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Eux·elles-mêmes semblent avoir souhaité entretenir, à partir d’un certain moment, le flou, le vague et la distance, comme le rappellent Carrie Landfried et Olivier Wagner dans leur introduction : “En décembre 1989, interrogée à l’occasion de l’anniversaire des cinquante ans du nouveau roman, Nathalie Sarraute déclarait : ‘Non, nous ne nous rencontrions presque jamais. J’ai connu Simon à New York en 83, et Pinget, aussi, en même temps.’ A cette stupéfiante affirmation, que venaient contredire tant de faits, le journaliste opposa la fameuse photographie qui rassemble les auteurs du nouveau roman devant les éditions de Minuit”.
Nathalie Sarraute occupe une autre place majeure, sorte de vestale littéraire – et seule femme du lot – que tous admirent, adulent
Se soutenir les un·es les autres
Aujourd’hui, c’est ce précieux recueil de leur correspondance que l’on pourrait opposer. Un document historique et un livre rare, sans doute le seul qui rassemble les lettres non pas de deux, mais de sept écrivain·es entre eux·elles. S’il n’est question ni de Samuel Becket ni de Marguerite Duras, reste que les missives que s’échangèrent Alain Robbe-Grillet, Claude Ollier, Robert Pinget, Michel Butor, Claude Mauriac, Claude Simon et, justement, Nathalie Sarraute, prouvent qu’il·elles se voyaient, ne cessaient de s’envoyer leurs livres respectifs, de se flatter et de se soutenir les un·es les autres.
Si tous·tes, bien sûr, n’étaient pas ami·es, le livre s’ouvre sur l’amitié entre Robbe-Grillet et Claude Ollier, puis voit s’en construire d’autres, dont celle entre Sarraute et Butor. Vite, deux personnalités se dégagent et semblent régner. Robbe-Grillet occupe une place de pilier, qui connaît le succès avant les autres avec Les Gommes (1953), et va peu à peu, en publiant aux éditions de Minuit de Jérôme Lindon après que Gallimard a refusé Un Régicide (1978), agglomérer autour de lui des écrivain·es avec qui il est ami (Claude Ollier…), ou qui ne se sentent pas à l’aise chez leurs éditeurs respectifs. Nathalie Sarraute occupe une autre place majeure, sorte de vestale littéraire – et seule femme du lot – que tous admirent, adulent, à qui ils écrivent mots obséquieux et compliments béats.
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Rien de très personnel ni d’intime
Si Minuit rééditera son Tropismes (en 1957), elle restera fidèle à Gallimard, et indépendante, mais correspond abondamment avec les écrivains de Minuit, leur parle au téléphone, les voit, les aide. Qui s’attendrait à de grandes considérations esthétiques, de longs échanges sur la littérature, de longs accords et désaccords, serait déçu·e. Le maximum de leur union théorique tient peut-être dans cette phrase de Robbe-Grillet, citée par Claude Simon dans une lettre de 1957 : “Le monde n’est ni signifiant ni absurde : il est”, et s’incarne dans un même rejet pour les articles de leur bête noire, Emile Henriot, critique littéraire du Monde. “Il faut faire bloc contre les imbéciles”, écrit Pinget. Ce que l’on découvre dans ces lettres, c’est la face prosaïque du Nouveau Roman – faire bloc, en somme, s’entraider : chacun·e écrit sur l’autre dans des revues.
Il y a quelque chose d’étrange dans ces lettres, qui tient peut-être dans tout ce qui ne s’y dit pas
En novembre 1960, Robbe-Grillet et Sarraute, juré·es du prix Médicis, font alliance pour l’attribuer à La Route des Flandres de Claude Simon (il ira à Henri Thomas) – l’année d’avant, il·elles avaient récompensé Claude Mauriac, et en 1958, Claude Ollier. Même si Robbe-Grillet et Ollier sont très liés – se donnant du “Mon Toto”, du “ma Vieille” –, quand il s’agira d’éditer son ami, Robbe-Grillet – qui qualifiera plus tard le mouvement de “pseudo nouveau roman” – redevient un éditeur froid, critique, efficace.
Sa lettre de 1955 à Robert Pinget, qu’il veut éditer, en est un exemple, lui proposant de réduire Graal Flibuste de 280 à 200 pages : “Il s’agit uniquement de faire un livre moins cher. Car si nous publions le livre c’est avec l’intention de le faire connaître, de le diffuser et pratiquement de le vendre. Vous savez que les Editions de Minuit s’occupent très activement des ouvrages, une fois qu’ils sont publiés ; je crois qu’il faut, de votre côté, leur faciliter la tâche.”
Peu de confidences entre eux·elles, rien de très personnel ni d’intime, ni amour ni sexe, rien sur les autres, juste un ton sans cesse très professionnel, puisque l’on n’y aborde que ce qui est professionnel : le métier d’écrivain·e plus que la littérature, l’être soi en écrivain·e plus que soi tout court. Il y a quelque chose d’étrange dans ces lettres, qui tient peut-être dans tout ce qui ne s’y dit pas, mais qui s’est peut-être exprimé oralement, autour d’un verre dans un café, au cours d’un dîner, d’une soirée ou d’une conversation au téléphone.
Nouveau Roman. Correspondance 1946-1999 (Gallimard), sous la direction de Jean-Yves Tadié, édition établie, présentée et annotée par Carrie Landfried et Olivier Wagner, 325 p., 20 €
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