Mon nom, c’est Barnabé. Mon métier, c’est ange gardien. Mon patron, c’est Dieu en personne. Un jour, après que mon précédent “patient” n’eut plus eu besoin de mes bons et loyaux services, le boss m’a confié une mission très difficile, la plus difficile de toutes celles que j’ai eues à accomplir : devenir l’ange gardien […]
Mon nom, c’est Barnabé. Mon métier, c’est ange gardien. Mon patron, c’est Dieu en personne. Un jour, après que mon précédent « patient » n’eut plus eu besoin de mes bons et loyaux services, le boss m’a confié une mission très difficile, la plus difficile de toutes celles que j’ai eues à accomplir : devenir l’ange gardien de Wim Wenders, un grand cinéaste allemand qui s’était mis à croire à l’existence des anges. Il ne fallait surtout pas le décevoir, le prestige de la maison en dépendait. Le boss, qui est un sacré farceur, m’a cité la phrase fameuse de Drôle de drame : « A force d’écrire des choses horribles, les choses horribles finissent par vous arriver. » Je devais protéger Wim contre les mauvais films, les critiques acerbes, et l’empêcher de dire trop de conneries. Au début, aidé par l’enthousiasme des convertis, Wim s’en est bien tiré. Après, il s’est lancé dans une sombre histoire de science-fiction australienne et là, ça a commencé à très mal tourner. Malgré ma patience d’ange et mes sages conseils, Wim a enchaîné les navets. C’était affreux. Devant l’ampleur du désastre, j’ai été convoqué dans le bureau du patron. Il m’a passé un sacré savon. Pour ma défense, j’ai cité des collègues qui ne s’en sortaient pas mieux que moi avec ces satanés cinéastes : l’ange gardien de Ken Loach, celui d’Alexandre Jardin, de Cédric Klapish ou encore de Peter Greenaway. Le Vieux (entre nous, on l’appelle comme ça) m’a répliqué que je me trompais, que ces types-là dépendaient de la maison d’en dessous, celle qui est toute rouge et qui sent le soufre. Je devais me remettre en cause et, au moins, tenter de limiter les dégâts. Sinon, je serais rétrogradé ange de troisième et dernière classe et le Vieux m’enverrait m’occuper de Roland Emmerich ou Claude Berri. Quand Wim s’est mis en tête de faire un film avec ses étudiants de l’école de cinéma de Munich, un film qui serait consacré aux frères Skladanowsky, les « Lumière » berlinois, j’ai tout de suite senti qu’à force de vouloir faire l’ange, il allait vraiment faire la bête. Evidemment, ça n’a pas loupé… Du ridicule accent allemand des personnages (genre, « Nous afons les moyens de fous faire parler ! ») à la mièvrerie navrante de l’histoire en passant par le grotesque achevé du filmage « cinéma muet », son dernier film est une catastrophe majeure. Mais Wim était aux anges, persuadé d’avoir rendu un bel hommage à des pionniers méconnus du cinématographe. J’avais beau lui dire qu’il était tombé du côté de Karl Zéro (un gugusse de la télé dont personne ne veut être l’ange gardien), il n’a rien voulu entendre. Après ce nouvel échec, le Vieux a été impitoyable et je m’occupe maintenant de qui vous savez. Je songe sérieusement à démissionner, à devenir humain et à aller planter des choux du côté d’Oyonnax. J’aimerais être passé.
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