Occasion, pour ceux qui l’ignoraient, de découvrir que dans le théâtre kabuki les rôles de femmes sont traditionnellement tenus par des hommes. Mais il n’est nullement question pour Schmid de décrire en détail ce genre théâtral ancestral. Ce qui intéresse principalement le cinéaste à travers le personnage de Tamasaburo Bando est la façon dont l’onnagata […]
Occasion, pour ceux qui l’ignoraient, de découvrir que dans le théâtre kabuki les rôles de femmes sont traditionnellement tenus par des hommes. Mais il n’est nullement question pour Schmid de décrire en détail ce genre théâtral ancestral. Ce qui intéresse principalement le cinéaste à travers le personnage de Tamasaburo Bando est la façon dont l’onnagata mot tiré d’onna, femme en japonais, qui désigne le travesti dans le kabuki exprime plus qu’une femme, l’essence quasi divine de la féminité, et ce sans la caricaturer comme les homosexuels occidentaux. Bien sûr, cela reste un peu théorique car Bando, qui est d’une étonnante juvénilité à 45 ans, est onnagata depuis une trentaine d’années et cela laisse des traces visibles dans sa manière d’être.
Ce portrait d’une diva androgyne du théâtre japonais, sur scène où Bando joue notamment une scène classique de réincarnation d’une jeune fille sous la neige et à la ville, aboutit naturellement à l’évocation de la dimension essentielle du kabuki, la chorégraphie. Lors d’une interview, Bando en vient à citer certaines actrices ou danseuses japonaises du passé qui furent ses modèles, et que le cinéaste montre ensuite esquissant quelques pas de danse… Daniel Schmid profite de l’occasion pour revenir graduellement à ses dadas décadents ; rappelons qu’il fut dans les années 70 l’un des principaux artisans d’un cinéma allemand hanté par la fascination baroque de la décrépitude. On voit donc des geishas de 90 ans pincer les cordes de leur shamisen, faire une petite démonstration de danse fort émouvante ; ou bien une actrice octogénaire évoquant sa carrière avec Naruse et Ozu. On aboutit à une scène presque dérangeante où un célèbre danseur de buto de 90 ans se contorsionne lentement, à demi nu, la nuit, sur le quai d’un port un éclairage en contre-plongée soulignant ses traits ridés et remplaçant ses yeux par des trous noirs ; vision d’un spectre torturé, antithèse de la délicatesse diaphane de Tamasaburo Bando. Ce mélange de lyrisme et de morbidité était déjà présent dans le documentaire de Schmid sur la vieillesse, Le Baiser de Tosca (1984), tourné dans une maison de retraite italienne pour les anciennes gloires du bel canto.
On est moins séduit par la partie purement fictive du film, l’épisode Twilight geisha, où le cinéaste tente un peu lourdement un équivalent moderne du kabuki. Bando incarne une geisha des années 30 qui joue la coquette avec deux hommes sur un bateau, sans réellement accorder ses faveurs à l’un ou à l’autre. Une pantomime à l’occidentale qui jure un peu avec les sublimes scènes de kabuki vues ailleurs. Mais en dépit de cette anicroche, Visage écrit reste une belle démonstration de l’extrême subtilité du kabuki. L’onnagata devient presque une métaphore du métier de comédien, inconcevable sans une part de féminité.
Vincent Ostria
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