Jay Z commençait à s’emmerder sévère dans son existence de parvenu. Il brise la glace avec « 4:44 », un disque court et cohérent.
Avec sa mégalomanie maladive, sa femme et ses mômes qui ne sont que lumière et ses revenus frisant l’absurde, on voyait arriver d’ici l’ultime transformation de Jay Z, superstar people devenue l’ombre d’un rappeur : il s’apprêtait à se faire retirer quelques côtes afin de s’autocélébrer plus aisément, à travers des textes si hyperboliques qu’ils en sont devenus plats – lorsque l’on n’évoque que le sommet, on ne voit plus le relief, et sa précédente livraison, Magna Carta Holy Grail, collection de platitudes, disque de vieil éléphant assis sur ses recettes, l’illustrait à la perfection.
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Mais vendredi 30 juin est sorti 4:44, treizième album de l’ex-meilleur rappeur du monde : un disque sans apparat ni médaille, sans cymbales ajoutées, rempli de névroses et produit d’un bout à l’autre par le même beatmaker, le discret No I.D. Un disque sans artifice à l’ère où le grandiloquent fait loi.
4:44 est tout d’abord d’une honnêteté brutale : l’hyperbole de milliardaire y laisse place au quotidien d’une superstar avouant erreurs, manquements, errances – ses propres adultères, la honte qui le submergerait si sa fille venait à le savoir ou l’(homo)sexualité de sa mère.
Et si l’esbroufe est depuis toujours l’apanage du rap, que les MC sont tenus d’attraper des princesses par dizaines, peu font preuve de cette justesse lorsqu’il s’agit d’évoquer ce qu’ils sont vraiment. Même si l’on sent que Jay Z n’est plus habitué à cet exercice – la rime est faiblarde lorsqu’elle touche à l’intime –, on ne le lui reprochera jamais : Carter est un homme qui, quoique riche à millions, pense parfois qu’il n’est qu’une merde, côtoie l’homosexualité au quotidien (féminine cependant, hein, faut pas déconner…), trompe sa femme et se fait un sang d’encre pour le futur de sa marmaille.
Des samples insérés avec finesse
4:44 est aussi un disque court (10 titres, 36 min), cohérent et superbement produit, par No I.D. donc, qui contribue lourdement à son caractère à la fois cohérent et intimiste. D’abord parce que le côté absolument grillé des samples (de Nina Simone à Stevie Wonder) est sublimé par sa manière de les fondre dans une couleur musicale homogène, chargée de soul, de poussières boom-bap et de brumes – à l’opposé des livraisons précédentes du rappeur. Ensuite parce qu’il les travaille comme personne : chez No I.D., Nina Simone n’est plus Nina Simone ; elle se planque off-beat, se dissimule, renaît. Et au-dessus, Jay Z s’excuse de ses tromperies et du fait qu’elles semblent paradoxalement normales pour un homme.
Même la présence des featurings (Damian Marley ou Frank Ocean) est inutile tant ce disque est concret, cohérent, juste – un Jay Z de poche, qu’on écoute enfin pour soi-même, sous casque.
Reste cependant le caractère pataud d’un rappeur qui livre ses démons en bloc après n’en avoir rien dit pendant des années. Il est difficile de le lui reprocher mais on se pose alors la question : l’adultère ? Sa femme Beyoncé l’évoquait déjà dans Lemonade ; les rappeurs actuels qui n’ont plus l’épaisseur d’antan ? On le savait déjà. De quoi 4:44 est-il donc le nom ? Du mea culpa d’une rap-star qui veut redevenir enfin normale ? Qui veut être à nouveau ce rappeur lambda, celui qui débitait les meilleures rimes de la planète en 1993 en livrant ses tripes ?
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