Ils débarquent dans les librairies et bientôt sur les plages. Ecrire un best-seller, ce n’est pas difficile et ça peut rapporter gros.
Et si c’était vrai?… Et si, comme Marc Levy ou Jean Teulé, nous pouvions nous aussi décrocher le pactole en publiant de mauvais livres, squatter le classement des meilleures ventes pendant des mois et croire que cela fait de nous un écrivain? A la lecture de ces quelques lignes, on pourrait soupçonner le critique aigri – forcément aigri – de se venger bassement de ceux qui ont réussi là où il a échoué. Ce serait faire fausse route.
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Il faut au contraire considérer cet article comme celui d’un ami qui vous veut du bien et qui souhaite vous aider à faire fortune en révélant les secrets de fabrication d’un best-seller (secrets mis au jour grâce à la méthode préconisée dans Comment je suis devenu un écrivain célèbre de Steve Hely). Suivez les conseils prodigués ici, et vous serez peut-être le prochain Guillaume Musso. Avouez que ça fait rêver…
Règle n°1, le héros est toujours seul contre tous
Avant toute chose, il est impératif de respecter une règle essentielle : le héros d’un best-seller est toujours un homme ou une femme seul(e) contre tous, ainsi que nous l’enseignent les récents mastodontes de l’édition. Seul contre un affreux psychopathe nécrophile comme 007 dans Carte blanche, le nouveau James Bond signé Jeffery Deaver. Seul contre des forces obscures, comme Antoine Dirac dans La Mémoire double, le roman « culte » des frères Bogdanov publié pour la première fois en 1984, plagié par Matrix (comme ils le clament dans l’hallucinante préface du livre) et réédité aujourd’hui. Seul contre les triades chinoises (Les Neuf Dragons de Michael Connelly) ou encore, seul face à sa destinée telle Alice, l’héroïne de L’Etrange Voyage de Monsieur Daldry, le dernier Marc Levy.
Ensuite, libre à vous de projeter votre personnage dans la campagne tourangelle, le Missouri profond ou le Paris des sixties, l’important, c’est de faire au-then-tique. Prenez exemple sur Igor et Grichka, les jumeaux interstellaires. L’histoire de La Mémoire double, subtil mélange de Matrix, Jacquou le croquant et le dessin animé Georgie, se déroule dans une ferme gasconne à la fin des années 40.
Du coup, les personnages moissonnent toutes les deux pages, font « chabrot « et parlent patois. Idem dans Charly 9. Jean Teulé tente d’amuser la galerie avec une farce indigeste autour des massacres de la Saint-Barthélemy (sujet fendard s’il en est). Pour faire plus XVIe siècle, Teulé sature son texte de fraises et de collerettes, d’interjections d’une truculence qui se veut rabelaisienne – « crétin fécal », « par la chiasse de la Vierge »… – et rimaille à tout-va, osant d’audacieuses associations comme « Pléiade » et « salade ». Quel fieffé faquin ce Jeannot.
Surtout ne pas oublier de faire preuve d’une grande pédagogie
Sans aller jusqu’à prétendre que l’auteur de best-sellers a tendance à prendre son lecteur pour un abruti au QI négatif, il faut reconnaître qu’il s’évertue à faire preuve d’une grande pédagogie afin de rendre son propos parfaitement limpide. Jeffery Deaver, qui a reçu l’insigne honneur de succéder à Ian Fleming, obtient sans conteste le premier prix d’écriture didactique.
Exemple : « Il y eut un silence, puis le réceptionniste répondit : – C’est un township. » Ligne suivante, au cas où on aurait mal compris : « Un bidonville, d’après ce que James Bond avait lu sur les documents transmis par Bheka Jordan. » Mais comment ne pas prendre son lecteur pour un con quand même les mecs du MI6 se révèlent pas bien fute-fute? James et ses collègues mettent ainsi un certain temps à comprendre que le mystérieux « projet Gehenna » a peut-être un rapport avec la Bible, voire avec le Mal, et qu’il s’agit d’un truc potentiellement dangereux.
Mais attention, se montrer pédago ne signifie pas renoncer à la fantaisie ou aux sentiments. Votre héros-seul-contretous-dans-un-décor-authentique n’en est pas moins un homme ou une femme, avec un coeur qui bat. James Bond ne peut résister aux charmes de Felicity quand elle tourne les talons « telle une lionne prête à fondre sur un troupeau de gazelles. »
Dans La Mémoire double, Antoine, malgré ses problèmes angoissants de numéro de Sécurité sociale (le coeur de l’intrigue bogdanovienne), trouve le temps de folâtrer avec Juliette : « (…) il laissa ses doigts remonter le long de ses cuisses dont la chair se contractait, chaude et légèrement moite. Cette peau n’avait plus de limite. » L’érotisme champêtre des jumeaux de Temps X non plus. Et qui connaît mieux l’amour et ses atermoiements que Marc Levy qui, une fois de plus, nous offre une belle leçon de vie : à quoi bon parcourir le monde pour trouver l’âme soeur alors qu’elle vit sur le même palier?
« Affronte tes peurs, écoute ton coeur. » On imagine très bien cette exhortation inscrite en lettres rouges sur l’affiche du film qui sera, à coup sûr, tiré de L’Etrange Voyage de Monsieur Daldry, avec Audrey Tautou minaudant face au Bosphore. Car il faut toujours penser en termes d’adaptation ciné, quitte à trousser son livre comme un scénario, en le truffant de dialogues.
Sur ce plan, les Américains sont les plus forts, et John Grisham remporte la palme. L’Affaire Pélican, La Firme…, nombre de ses romans ont déjà été portés à l’écran. La Confession, l’histoire d’un pasteur qui se bat pour sauver un condamné à mort, devrait compléter la liste. Matt Damon sera impeccable dans le rôle du révérend aux prises avec un tueur manipulateur qu’on verrait bien incarné par Steve Buscemi. Il faudrait qu’on en parle à John. En tout cas, vous avez désormais toutes les cartes en mains pour écrire un livre qui vous rapportera des millions. On ne vous demandera qu’un faible pourcentage sur vos droits d’auteur, en guise de remerciement.
Elisabeth Philippe
L’Etrange Voyage de Monsieur Daldry de Marc Levy (Robert Laffont), 432 p., 21 euros. Charly 9 de Jean Teulé (Julliard), 200 p., 19 euros. La Mémoire double d’Igor et Grichka Bogdanov (Robert Laffont), 420 p., 21 euros. Carte blanche de Jeffery Deaver (Flammarion), 21 euros. La Confession de John Grisham (Robert Laffont), 506 p., 21 euros.
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