Un psy new-yorkais et une danseuse parisienne échangent leurs appartements. Akerman en profite astucieusement pour croiser le cinéma européen et la comédie américaine.
La psychanalyse serait-elle en train de devenir le meilleur sujet de comédie ? Après Danièle Dubroux et son formidable Journal du séducteur, c’est au tour de Chantal Akerman d’emprunter le chemin des divans. Mais là où Dubroux optait pour le mélange des genres, Akerman choisit le transfert pur et simple.
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Lassé des névroses de ses riches patients, de son superbe appartement de la 5e Avenue et même de son adorable gros chien, un psy (William Hurt) échange son cadre de vie contre celui d’une petite danseuse parisienne. Elle aussi en a marre. Marre de ses amants, pour le moins collants, et de leur boniment ; marre de Belleville, marre de tout. Elle rêve de taxis jaunes, lui de bohème. Ces deux-là sont donc faits pour s’entendre, à tous les sens du terme. L’un est en provenance directe d’un film de McCarey, La Cava ou Woody Allen ; l’autre pourrait venir de chez Carax, Binoche oblige, si Carax était plus drôle. Sur ce classique argument de comédie, qui consiste à lâcher un personnage dans un milieu totalement différent du sien, Akerman va construire une double projection, un rêve de cinéma, un cinéma de rêve. Etiquetée « auteur européen », elle se sert de son héroïne pour se projeter dans le monde, nouveau pour elle, de la comédie sophistiquée. Son héroïne laisse derrière elle son univers : un appartement et toutes les histoires qu’il contient. Les histoires d’amour, belles et tristes, dont elle ne veut plus, laissant au psy le soin de s’en emparer. Assez vite, il renoncera à comprendre tout ce foin (« What’s foin' »). Pendant ce temps, comme un poisson dans l’eau, elle se sera vite acclimatée et sera passée de la fascination première à la critique acide. Sous le charme de son bon sens, les analysés ne peuvent plus se passer d’elle.
Son premier succès sera le chien. Depuis fort longtemps, au moins depuis Le Magicien d’Oz, cet animal encombre de sa baveuse présence les fictions américaines. Assez stupide mais très affectueux, il sert à arracher des larmes faciles au spectateur peu exigeant. Dans les films hollywoodiens, on ne pleure jamais plus que quand le chien meurt. Pour commencer à soigner le malade, Akerman s’attaque donc au plus difficile, à l’archétype le plus sentimental. Cinéma américain, qu’as-tu fait de tes histoires ? Où sont passées tes comédies d’antan ? Comment as-tu traité tes chiens ? Mal, puisque la pauvre bête souffre de troubles intestinaux. Il était grand temps que Chantal et Juliette arrivent. Toute la beauté du film tient dans ce pari risqué de ne rien se refuser, même et surtout les procédés. Quitte à avoir traversé l’Atlantique pour se colleter avec la comédie, Akerman tient à se faire plaisir. Seulement, elle sait que pour prendre son pied, il faut savoir prendre son temps. Comme Binoche avec ses patients de hasard, elle use des codes et préceptes de la comédie avec une tendresse ironique qui n’exclut pas le rudoiement. Et la cavalcade finale « proche d’ Hatari d’Hawks », nous souffle Jean-Claude Biette , n’est pas un coup de force scénaristique mais le résultat d’un long et réjouissant processus. En apprivoisant la comédie, le genre le plus sinistré du cinéma américain actuel, Akerman n’a pas renoncé à ses principes. Elle aura d’abord beaucoup écouté (« Hum, yes' ») avant de tordre les conventions à son avantage. Avec ce Divan à New York qui raconte la réconciliation de deux personnages avec eux-mêmes puis avec les autres, elle lance un pont entre deux mondes, entre deux cinémas qui s’ignoraient. Le genre en sort revivifié, le regard d’Akerman profondément renouvelé et le spectateur hilare. Ajoutons enfin qu’il est agréable de retrouver une comédienne aussi douée que Juliette Binoche autrement qu’en amazone costumée (Le Hussard sur le toit) ou en icône kieslowskienne (Bleu). Un bon point de plus à l’actif de ce film terriblement séduisant.
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