Langley, October 4th 1995Re : Projet Carla’s song, note confidentielle.From : Norman Bates, CIA, responsable de la propagande pour l’Europe.To : Ken Loach, cinéaste, agent infiltré dans les milieux trotskistes britanniques.Honorable correspondant,J’ai le plaisir de vous annoncer que le visionnage de votre dernier film, Land and freedom, nous a convaincus que vous étiez l’homme de […]
Langley, October 4th 1995
Re : Projet Carla’s song, note confidentielle.
From : Norman Bates, CIA, responsable de la propagande pour l’Europe.
To : Ken Loach, cinéaste, agent infiltré dans les milieux trotskistes britanniques.
Honorable correspondant,
J’ai le plaisir de vous annoncer que le visionnage de votre dernier film, Land and freedom, nous a convaincus que vous étiez l’homme de la situation. Le manichéisme outrancier, la raideur idéologique et l’anticommunisme primaire qui se dégagent de l’ensemble sont très impressionnants. Ces éléments nous poussent à vous confier le soin de ridiculiser à jamais l’un de nos plus vieux ennemis : le Nicaragua sandiniste. Sous le nom de code de Carla’s song, votre mission consistera à faire un film tellement grotesque qu’il massacrera ce qu’il est censé défendre. Cette méthode a déjà fait ses preuves. En lisant le scénario ci-joint, que nos services ont concocté avec ferveur, vous pourrez constater que nous n’y sommes pas allés de main morte. Tout y est lourd, invraisemblable et larmoyant.
Pour la première partie écossaise, je vous suggère une caractérisation rapide des personnages : le bon chauffeur de bus sera grand et généreux tandis que le méchant petit chef se grattera les couilles pour un oui ou pour un non. Pour la partie au Nicaragua, nous tenons beaucoup à ce qu’elle soit un mélange entre le célèbre feuilleton pour enfants Daktari et la publicité française Nescafé. Pour la musique, nous suggérons des flûtes et des guitares, ce sera très pittoresque. N’oubliez pas que le Latino, comme le Nègre, est joyeux et aime danser, c’est sa nature profonde. Alors, prévoyez quelques farandoles folkloriques. Chaque scène devra être tournée comme dans un film soviétique des années 40. Vous pouvez également vous inspirer de Tintin chez les Picaros. N’hésitez pas à faire gros pour que ça passe. Pour interpréter les combattantes sandinistes, nous vous enverrons une cargaison de nos plus jolies top-models ethniques. Vous êtes prié de nous les restituer en parfait état. Afin d’accroître la crédibilité (je plaisante, cher Ken) de l’ensemble, notre manipulation des « Contras » que tout le monde connaît depuis plus de dix ans devra être annoncée comme une stupéfiante révélation, lors d’une scène paroxystique contre l’impérialisme américain (je pleure de rire !). La fin, où la jeune Nicaraguayenne choisit le guitariste à la langue coupée, devra être le clou du spectacle. A côté de ça, un discours de notre cher Ronald Reagan passera pour de la propagande castriste. Enfin, toutes les scènes de guerre seront filmées au ralenti, ça marche toujours. Naturellement, le film devra être prêt pour les élections au Nicaragua et contribuer à assurer la victoire de notre candidat, le courageux Arnoldo Aleman, opposé à l’odieux ex-« rouge » Daniel Ortega. Nous comptons sur vous.
Norman Bates, CIA.
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