« Prête à tout » ressemble à ces objets, rares aujourd’hui, qui ont bâti l’âge d’or d’Hollywood : les films de studio avec une âme. Une structure à la Mankiewicz, un humour corrosif à la Wilder pour une œuvre accessible mais personnelle : Gus Van Sant se refait une santé.
Et Gus vint à Hollywood. « Le peintre des marginaux, drogués ou homosexuels », comme le décrit finement Jean Tulard dans son Dictionnaire des réalisateurs. Pour nous, le réalisateur visionnaire et farouchement indépendant de Drugstore cowboy et de My own private Idaho allait travailler avec la productrice Disney de Pretty woman et diriger Nicole Kidman, madame Tom Cruise herself. Après le triple échec (artistique, commercial et critique) de Even cowgirls get the blues, on craignait le pire de ce qui ressemblait fort à un renoncement, voire à un reniement. On avait tort.
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En s’emparant de ce remarquable scénario de Buck Henry l’auteur pour Mike Nichols du Lauréat et de Catch 22 racontant la laborieuse ascension télévisuelle d’une dangereuse monomaniaque, Gus Van Sant savait qu’il allait devoir se couler dans un moule connu pour sa rigidité. Or, il a eu non seulement la malice de refuser la trop classique confrontation auteur-contre-le-système dont il serait sorti perdant, mais aussi l’intuition de choisir le parti pris de l’efficacité maximale en épousant les conventions de la comédie.
Prête à tout n’admet pas le moindre temps mort et son rythme de mitraillette rappelle celui des chefs-d’œuvre de la screwball comedy par Capra (New York-Miami) ou Hawks (La Dame du vendredi). Comédie brillantissime donc, mais aussi passage en revue, érudit et rigolard, de tous les genres du cinéma américain. En effet, tous les personnages du film ont pour dénominateur commun d’être des spectateurs ; dont l’imaginaire est strictement délimité par le rectangle 63 cm du salon. Si l’héroïne souffre de la névrose commune du désir de sauter dans l’écran, de faire partie intégrante de la mystérieuse lucarne, la perception du monde qu’ont ses parents se limite à ce qu’ils ont vu dans le robinet à images. Ainsi, sous les assauts répétés des films de Coppola et Scorsese, ils sont persuadés que tous les Italo-Américains sont des mafieux. Comme de bien entendu, le film restera fidèle à son dispositif initial et le destin tragique de leur fille viendra in fine leur donner raison. Cette aisance dans la métamorphose, à la fois profondément ironique et nécessaire d’un point de vue dramatique, rappelle celle d’un cinéaste américain qui n’avait pas son pareil pour passer du film noir à la comédie sophistiquée, du drame de l’alcoolisme au film de procès : le grand Billy Wilder.
A la petite ville de Climax (en VF : Orgasme) d’Embrasse-moi, idiot ! succède ici celle de Little Hope (Mesquine Ambition), mais c’est toujours le même trait profondément vachard qui domine, le refus parfois cruel d’être dupe des ridicules d’une société où la bêtise règne en maître. Le biais de la télévision, qui s’introduit partout et (mal)traite tous les sujets et tous les genres, permet à Van Sant de rendre un vibrant hommage à la filmographie variée d’oncle Billy en la synthétisant en un seul film.
En collant à son sujet jusqu’à faire mine d’en adopter la forme, le film joue les caméléons et adopte tous les tics téloche (le clip frénétique, l’image clinquante type sitcom, le reportage bidouillé) pour mieux en faire ressortir l’extrême paresse. Victimes les plus évidentes et les plus consentantes du lavage de cerveau qu’opère la télé, trois adolescents grunge vont être les instruments de l’ambition sans limites de l’héroïne. Ces zombies, moins méchants mais aussi bêtes que ceux du Kids de Larry Clark, succombent sans coup férir au charme vénéneux, quoique rose bonbon, de cette poupée Barbie cathodique.
On ne saurait trop saluer la performance de Nicole Kidman, qui mérite décidément mieux que Batman forever ou Jours de tonnerre. Elle révèle ici un vrai tempérament de comédie qui la place entre Katharine Hepburn et Carole Lombard. La réussite du film doit beaucoup à son charme piquant, mais aussi aux capacités d’adaptation de Van Sant. Il signe avec Prête à tout un film qui ne le fait renoncer à aucune ambition tout en remplissant avec jubilation la commande. Une appétissante dragée au poivre.
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