Dans Seven, on autopsie une série de corps mutilés, comme le constat d’une Amérique en état de putréfaction avancée. La plus grosse erreur que l’on pourrait faire à propos de Seven serait de le réduire à un film de commande et de le classer dans ces produits préfabriqués dont le cinéma américain abuse si souvent. […]
Dans Seven, on autopsie une série de corps mutilés, comme le constat d’une Amérique en état de putréfaction avancée.
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La plus grosse erreur que l’on pourrait faire à propos de Seven serait de le réduire à un film de commande et de le classer dans ces produits préfabriqués dont le cinéma américain abuse si souvent. Ne pas comprendre Seven aujourd’hui, c’est rester aveugle face à Dirty Harry dans les années 70 et cantonner le film de Siegel à un débat sur l’autodéfense alors qu’il s’agit d’une parabole christique sur le sacrifice d’un flic. Tout devrait porter Seven au conformisme absolu : un serial-killer éliminant ses victimes sur le principe des sept péchés capitaux ; deux policiers, Brad Pitt et Morgan Freeman, construits sur un mode binaire on ne peut plus fidèle à l’orthodoxie hollywoodienne et au buddy-movie : jeune/vieux, con/intelligent, physique/mental, impulsif/réfléchi ; l’épouse du plus jeune reste tranquillement à la maison ressassant son blues de la ville en préparant le repas du soir, alors que Freeman noie sa solitude le soir en bibliothèque. On n’ose imaginer ce qu’auraient fait Yves Boisset ou Francis Girod d’un scénario pareil, truffé au passage d’un certain nombre d’invraisemblances impardonnables : comment l’assassin fait-il par exemple pour retrouver la trace de la femme de Pitt sans que ce dernier soit au courant ? comment les deux flics arrivent-ils à retrouver la trace du tueur du premier coup grâce au fichier des bibliothèques fédérales ? L’enquête de Seven n’avance qu’à coups d’approximations, fonctionnant par blocs que Fincher essaie tant bien que mal de relier ensemble.
Mais on a rarement vu un film autant concerné par le bordel, le renfermé, la putréfaction, le rance, la décomposition. Quant à l’histoire de Fincher, elle renvoie davantage à une post-histoire désignant un monde où la morale a disparu, mettant en scène deux flics essayant de déchiffrer, tels deux archéologues, des principes effacés, dissimulés ou oubliés. Seven se fonde sur un souvenir de morale et de religion ravivé par un maniaque qui semble avoir passé des années à lire de vieux grimoires pour mieux retracer les étapes de la généalogie d’une morale désormais enfouie. L’enquête proprement dite se réduit à une série d’autopsies où sont passés en revue viscères, tripes, artères, muscles, cervelet, métaphores d’une société en déliquescence dont on fait l’inventaire des ruines subsistantes. Il n’y a pas de corps dans Seven, seulement des momies dont on défait avec délicatesse les bandelettes. Cette décomposition est accentuée par les partis pris esthétiques de Fincher : tons verts et gris, lumière filtrée par la pluie, scènes constamment filmées dans le noir où Freeman pourrait passer pour l’homme invisible, rehaussant du coup la blancheur du visage de Pitt pour en faire un mort-vivant , brouillard permanent, murs en lambeaux. Il n’y a personne à arrêter dans Seven, pas vraiment de coupable à coffrer, mais une série d’anatomies malades à examiner comme si, cette fois, le constat importait plus que la résolution. Ce constat ne porte pas sur les corps mutilés, martyrisés, il désigne un organisme bien plus complexe : l’Amérique fin de siècle vieillissante.
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