Gil Scott-Heron, héros de la soul contestataire, parrain du rap, revenu de la damnation en 2010 avec le magnifique I’m New Here, est mort ce week-end : portrait et hommage, par Francis Dordor.
En 2006, Richard Russell, fondateur du label indépendant anglais XL Recordings (White Stripes, Radiohead, M.I.A., The XX) arrive en prison, mais comme visiteur : il vient voir Gil Scott-Heron. Ce n’est pas le lieu idéal pour un premier contact avec un artiste muet depuis une quinzaine d’années et qui purge une peine de trois ans pour possession de stupéfiants. En franchissant les portes de la prison de Rikers Island située sur l’East River à New York, en empruntant le long couloir qui mène au parloir, les pas de Russell n’ont pourtant rien d’hésitant. Au bout l’attend une légende.
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Vêtu de la combinaison orange réglementaire, le chanteur âgé à l’époque de 57 ans n’est pas au mieux de sa forme. S’il n’a pas suivi le programme de désintoxication auquel le contraignait une première condamnation, manquement dont la conséquence est son internement, ce serait, dit-il, parce qu’on lui refusait un traitement anti-HIV. Contrebalançant l’impression de fragilité physique qu’affiche le détenu, Russell est au moins rassuré sur son état d’esprit. « Gil était plein de vie », confie-t-il début 2010 au quotidien britannique The Telegraph, « d’une incroyable profondeur et d’une extrême gentillesse. » Les deux hommes évoquent la possibilité d’un nouvel enregistrement.
Quand Scott-Heron se retrouve en liberté conditionnelle en mai 2007, ils se mettent au travail. En octobre, le chanteur est une nouvelle fois arrêté en possession de cocaïne et de crack. A sa sortie de prison, les séances reprennent et s’étalent sur une bonne partie de 2009. I’m New Here voit le jour en février 2010, chaleureusement accueilli par la presse.
L’album est magnifique mais il déconcerte. La voix de Scott-Heron, jadis décrite par un critique comme un mélange de « bois d’ébène, de soleil et de larmes », y est grasseyante et mal assurée. On dirait qu’il chante avec un dentier sur le point de se déchausser. L’ensemble ne dure que trente minutes, une quinzaine de morceaux très courts dont plusieurs reprises et des interludes parlés où il évoque une enfance bringuebalée et récite des poèmes composés voici quarante ans. Le décor sonore est un autre dépaysement. Finie la soul jazzy teintée de rythmes latinos de ses débuts. Oubliés les poèmes déclamés sur fond de congas qui firent de lui, avec les Last Poets, le précurseur du rap. Le voici immergé dans un bain de mercure, transplanté dans l’ozone toxique d’un dubstep crépusculaire à la Burial, aspiré par des boucles menaçantes façon Massive Attack.
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