Zarathoustra empoudré, Ferrara opère son dépassement de la philosophie par vampires interposés. Grand film. Quelle bouillie, quel délice ! Depuis The King of New York, Abel Ferrara, les conduites nasales perpétuellement tapissées de poudre, le cerveau objectivement démoli et cependant électrisé en sur-lucidité incantatoire, n’a pas raté un seul film. Qui osera dire le contraire […]
Zarathoustra empoudré, Ferrara opère son dépassement de la philosophie par vampires interposés. Grand film.
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Quelle bouillie, quel délice ! Depuis The King of New York, Abel Ferrara, les conduites nasales perpétuellement tapissées de poudre, le cerveau objectivement démoli et cependant électrisé en sur-lucidité incantatoire, n’a pas raté un seul film. Qui osera dire le contraire ? Aucun pourtant n’est justifiable aux yeux orthodoxes : de breloques mystiques en pornographie complaisante (ou les deux embouties cf. la nonne violée de Bad lieutenant), une filmo déliquescente, un art en forme de dégénérescence carabinée. Rien n’y fait : tout cela irradie et force l’admiration, comme le démontre encore ce nouvel ouvrage tant attendu, chose honteuse et problématique comme une maladie, sortie et aussitôt rentrée aux Etats-Unis sous les quolibets : The Addiction, la dépendance. Un film de vampires donc, une « tragédie morale » selon Ferrara. Une étudiante en philo (Lili Taylor), obnubilée par l’ampleur génocidaire
du siècle (le film s’ouvre sur des photos du massacre de My Lai au Vietnam, il accueillera plus tard des images des camps de concentration allemands), va à son tour faire l’expérience du Mal et le propager par transformation, après morsure, en vampire assoiffé. A chaque victime, elle demande de la regarder et de lui dire de s’en aller. La plupart, en larmes mais fascinées, acceptent leur mauvais sort. Ce pourrait être un film à thèse : le Mal absolu nous gouverne « Je faute donc je suis. » Ce n’est (heureusement) pas si simple. Au milieu de vaticinations philosophiques plus ou moins effarantes (sont cités : Kierkegaard, Feuerbach, Nietzsche, Sartre et autres), dans un chaos sonore où alternent bruits d’animaux, rap, halètements de machines, voix et cris, Ferrara déploie une scénographie grandiose, ténébreuse ; il remonte avec nous patiemment, perversement vers un aval archaïque. On régresse du discours au grognement, du monde civilisé (dont l’emblème est la bibliothèque qualifiée ici d’« énorme charnier puant le cadavre ») à l’univers enragé des instincts. Alors, la trouille remonte les images comme l’araignée au plafond, le film s’exalte, des rapports se nouent entre le désir de nuire et l’autodestruction, la dépendance de la drogue l’étudiante se fait des shoots de sang ! , rejoint par un raccourci saisissant la capacité à détruire industriellement des populations.
A un tel niveau de givrage mental, qui culmine dans une séquence inouïe d’orgie meurtrière, entre une profonde complexité morale et le foutage de gueule en règle, le spectateur (au hasard, le même qui se serait pâmé aux boucheries sataniques avariées de Seven) risque fort de ne pas passer le cap du premier quart d’heure et de crier au navet. Réellement troublant, c’est-à-dire désagréable, The Addiction ne nous met pas les idées en place, il crée plutôt des zones de turbulences suées, vomissements, prostration , émet des hypothèses folles, cherche à nous affecter, durablement pas à nous faire peur, bouh ! Il tend une main vers le ciel quand l’autre fouille encore délicieusement le septième cercle, et c’est le corps du film lui-même qui, « arbre de sang », attente à sa propre intégrité et se déchire. The Addiction tire le bilan du siècle et solde nos derniers espoirs. Résumons-nous : chef-d’œuvre.
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