Pour son retour à la réalisation, quarante ans après Le Rendez-vous des quais, Paul Carpita raconte une histoire de clandestins. L’ombre de Karl Marx y côtoie la morale de Jean Renoir. Il aura fallu quarante-trois ans à Paul Carpita pour réaliser son second film. Si pendant plusieurs décennies le cinéaste n’a pas donné de ses […]
Pour son retour à la réalisation, quarante ans après Le Rendez-vous des quais, Paul Carpita raconte une histoire de clandestins. L’ombre de Karl Marx y côtoie la morale de Jean Renoir.
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Il aura fallu quarante-trois ans à Paul Carpita pour réaliser son second film. Si pendant plusieurs décennies le cinéaste n’a pas donné de ses nouvelles, c’est tout simplement parce que l’Etat français en avait décidé ainsi. A la fin des années 50, Carpita, ancien résistant et homme de gauche très rouge, tourne son premier long métrage en mêlant images documentaires et fiction romanesque.
Toile de fond : la grande grève des dockers marseillais qui refusent d’embarquer les canons destinés à répandre la poudre coloniale en Indochine. Une fois le film terminé, la censure interdit Le Rendez-vous des quais. Motif : « menace pour l’ordre public »… Pire, lors d’une projection, les forces de l’ordre subtilisent les bobines du film. On n’entendra plus parler du Rendez-vous des quais jusqu’à ce que la copie soit retrouvée par hasard en 1988. S’ensuivent une distribution commerciale et la découverte par le public d’un pur joyau poétique et politique. Une tentative néoréaliste française tout à fait singulière qui figure, avec le recul, un farouche antidote aux sinistres productions de « qualité » qui gangrénaient le cinéma hexagonal de l’époque. Peut-être que si ce film avait connu en son temps une carrière normale, l’histoire du cinéma français n’aurait pas été la même… Néanmoins, cette exhumation tardive inaugure la seconde carrière de Carpita, qui décide, la soixantaine bien tassée, de réaliser son second film d’après un scénario écrit durant les années 50. Une recherche du temps perdu évidemment vaine donc tout à fait bouleversante puisque le cinéaste ne pourra jamais combler ces quarante années d’inactivité forcée.
Alors, Les Sables mouvants, film d’un autre temps définitivement caduc ? Un Rendez-vous des quais bis, la spontanéité en moins ? Les premiers plans laissent présager le pire. Un matin pâle de 1958, Manuel, clandestin espagnol antifranquiste, échoue en Camargue avec l’espoir relatif de trouver un boulot et une planque. Au lieu de quoi, il découvre une poignée d’individus sinistres, en premier lieu Roger, un marchand d’hommes qui exploite la misère immigrée, histoire de s’en foutre plein les poches. Progressivement, les choses se compliquent et Roger apparaît comme une sorte de marionnette dérisoire dirigée par plus puissant que lui, en l’occurrence un promoteur qui impose son mauvais vouloir adipeux à ses ouvriers comme à sa prolétaire de bonne. Pouvoir du sexe, métaphore du pouvoir tout court.
Pourvu d’une armature marxiste particulièrement rigide, Les Sables mouvants prend le risque de sombrer dans la grandiloquence discursive, la misère formelle et le manichéisme. Même s’il n’évite pas toujours les pièges de la fable édifiante, Carpita prouve pourtant qu’il est resté un authentique cinéaste. Ainsi, loin d’illustrer mécaniquement les fonctions didactiques de son scénario, il butine en chemin et s’intéresse avant tout à ses personnages. Sur ces sentiers de traverse, on décèle un surmoi renoirien, une capacité à élaborer une mise en scène où les lieux ne sont jamais décoratifs mais en intime correspondance avec les fluctuations des caractères. Carpita multiplie les lignes de fuite autour de son personnage principal : romance compliquée avec une fille du coin, liens fraternels avec une poignée de types qui lui ressemblent. Du coup, la polyphonie du récit et la ferveur humaniste (jamais démago) parviennent à faire oublier les hésitations formelles limites d’ailleurs élégamment effacées quand, durant la dernière demi-heure, Carpita retrouve la grâce du pur filmeur et enregistre le spectacle d’une nature complice mais menaçante. Reste le (faux) problème de la pertinence d’un tel film en 1996. La vision des Sables mouvants démentit le sarcasme potentiel : en effet, ce n’est pas le moindre intérêt du film que de remonter à une réalité d’il y a quarante ans entretenant des correspondances non fortuites avec celle d’aujourd’hui. Carpita dédicace son second opus « à la jeunesse humiliée et solidaire qui relève la tête ». En ces temps maussades où la hache tient souvent lieu de programme politique, la formule ne prête pas à l’ironie.
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