Inépuisable vivier de personnages prêts-à-écrire, le panthéon du rock est largement pillé ces derniers temps. Souvent pour le pire.
Froisser l’amour-propre des gens de plume (de paon ?) est une périlleuse entreprise. En se proposant de faire leur boulot à leur place (« Si je me plongeais un stylo dans le coeur/Si j’en répandais tout le contenu/cela vous satisferait-il? »), Mick Jagger s’est, depuis It’s Only Rock’n’Roll, visiblement attiré la rancune de pas mal d’écrivains.
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En témoignent diverses mesures de rétorsion, qui s’échelonnent du simple écorchage de nom (avec un superbe mépris des choses du rock, John Updike le rebaptise Mike Jaegger dans L’Après-Vie) à la farce bas de gamme (dans Keith Me, l’inénarrable Amanda Sthers montre le chanteur des Stones en train de se fendre la poire tout en enculant son guitariste).
Ce genre de maltraitance ne saurait toutefois éclipser celles dont sont désormais victimes les rockeurs morts qui, à la différence des héros de fiction, tombent dès leur trépas dans le domaine public. Et sont la providence de petits malins nécrophages, se voyant offrir sur un plateau des personnages aux tics, addictions et appétits suffisamment répertoriés pour les dispenser de se creuser la cervelle.
En témoigne la parution rapprochée de trois ouvrages, respectivement consacrés aux Ramones, à Syd Barrett et à quelques légendaires cadavres du rock américain. En sortant de leur tombe, tous subissent une cure d’amaigrissement à faire rêver la plus jusqu’au-boutiste des anorexiques pour, caricature oblige, se retrouver dotés d’une personnalité aussi mince que les pages des livres où commence leur seconde vie. Ainsi des faux frères du Bowery qui, après avoir longtemps joué les personnages de comics, deviennent dans un ouvrage collectif (Ramones – 18 nouvelles punk et noires) les cousins punk nigauds (quoique fort sympathiques) du Lucien de Margerin.
Voyeurisme mordbide
Syd Barrett a nettement moins de chance. Initialement déformé par les puissants psychotropes que sont le fétichisme et la dévotion, le portrait que dresse de lui l’écrivain italien Michele Marti finit par verser dans le voyeurisme morbide.
Privé de l’humour d’un Nick Hornby (dont le Juliet, Naked jouait également avec les dégâts qu’une star recluse peut produire sur le psychisme de ses fans), Pink Floyd en rouge carbure aux clichés déplaisants (après avoir été campé en bite, Jagger – « le lippu » – y devient une simple bouche) et fait du garçon qui emmena le rock au royaume des étoiles une sorte de taupe humaine, enfouie dans le sous-sol de la maison de sa mère. Sort enviable, si on le compare à celui que viennent de connaître Janis Joplin, Johnny Cash et Kurt Cobain – ou du moins leurs sosies.
Le fan peut, on le sait depuis l’assassinat de John Lennon, être animé d’une maousse pulsion de mort, mais on se demande ce que trois des plus émouvants chanteurs morts d’Amérique ont bien pu faire aux courageux auteurs anonymes du Cimetière du diable. Sous couvert de second degré, une Janis atteinte du syndrome de Tourette y encourage gaillardement un sosie d’Elvis à lui « défoncer la chatte », tandis qu’un Kurt Cobain crasseux (on est grunge ou on ne l’est pas) et un Johnny Cash crétin (le Tennessee, c’est connu, est la patrie des bouseux bas du Stetson) se font fracasser le crâne sur des cuvettes de chiottes – choix de cadre ayant au moins le mérite de pointer le niveau de coprophilie qu’exige la lecture de l’ouvrage.
A ce degré de nauséabond n’importe quoi, on en arriverait presque à se jurer de ne plus jamais ouvrir un « livre rock ». Puis on se souvient que l’un des meilleurs romans américains de 2010 – The Song Is You, d’Arthur Phillips – fait de la musique en général (et, Jagger peut se rassurer, de celle des Stones en particulier) un merveilleux usage. Et on se dit qu’il finira bien par se trouver un éditeur pour faire traduire ce chef-d’oeuvre de swing et de subtilité, sur lequel plane l’ombre envoûtante de Billie Holiday.
Bruno Juffin
Ramones – 18 nouvelles punk et noires, collectif (Buchet-Chastel), 224 pages, 17 euros Pink Floyd en rouge de Michele Marti (Seuil), 312 pages, 22 euros Le Cimetière du diable, collectif (Sonatine), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Diniz Galhos, 400 pages, 21 euros
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