Au-delà de son intense dramaturgie, l’affaire DSK interpelle les médias sur leur complaisance supposée vis-à-vis de la vie privée des politiques.
Mise à mort médiatique. Lynchage généralisé. Hypocrisie de la profession journalistique qui nous cache tout et nous dit rien, omerta des médias… Quelques jours après l’effet de sidération des images de Dominique Strauss-Kahn en menottes au tribunal, la médiasphère n’a pas échappé à son propre « procès ». Comme si elle portait en partie la responsabilité d’un événement « monstre ». Comme si la charge émotionnelle de l’arrestation de DSK, le surgissement inédit dans l’histoire politique hexagonale du « scandale sexuel » et l’image brutale de l’accablement d’un homme public transformé en figure affligeante du violeur ne pouvaient se suffire à eux-mêmes.
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La déflagration appelait une explication, voire une expiation : accusés, les médias français devaient répondre à la fois de leur supposé voyeurisme pour le spectacle judiciaire mis en scène par les Américains eux-mêmes et de leur supposé aveuglement passé devant les frasques de DSK. De trop montrer ou de ne rien dire, les médias furent pris dans un paradoxal procès, reposant sur quelques malentendus.
La mise à mort médiatique, dénoncée par les proches de DSK, reposait plus sur leur propre affliction que sur la prise en compte d’une réalité qui les dépasse : la théâtralisation judiciaire propre à la culture américaine, où chaque prévenu, fort ou faible, est soumis au même traitement d’une exhibition publique étrangère à nos codes moraux et visuels. Mais reprocher aux médias français de livrer aux chiens l’honneur de DSK, comme le suggéraient certains, semble pour le moins exagéré. On peut au contraire avancer que dans ses grandes largeurs, la prudence et l’embarras ont caractérisé l’attitude des médias.
Quant à la question de l’omerta des médias sur le rapport maladif de DSK au sexe, sur laquelle les journaux américains (le New York Times pointait la « loi du silence » hexagonale) mais aussi quelques journalistes français (Schneidermann, Quatremer, Beau…) se sont interrogés, la réalité est aussi plus nuancée, et continue de faire débat au sein même de la profession.
Deux lignes de fracture se dessinent ici. La première renvoie à l’éthique de chacun : jusqu’où le respect de la vie privée doit-il être garanti ? L’information s’arrête-t-elle « à la porte de la chambre à coucher », comme le défend Le Canard enchaîné ? Ou doit-elle se plier à l’exigence d’un éclairage plus prononcé, à la lumière de rumeurs ou de faits avérés (harcèlement…) ?
Beaucoup de journalistes ont rappelé que, depuis des années, leurs articles avaient révélé les penchants du personnage, sans parler des humoristes extralucides (cf. la chronique de Stéphane Guillon, considérée comme scandaleuse en février 2009 sur France Inter). Au carrefour de la politique, de la justice, de la violence sexuelle…, l’affaire DSK interpelle les médias sur leur responsabilité et leurs carences inévitables : entre moralisme et information, entre inquisition et suggestion, entre faits et suppositions, chaque journaliste déploie sa propre conception d’une information juste et légitime.
Ce n’est pas parce que DSK était « lourdingue » avec les femmes, dixit Schneidermann, que les médias pouvaient prévoir le crime et devaient par avance le clouer au pilori. Il s’est cloué tout seul.
Jean-Marie Durand
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