Avec La Comédie de Dieu, João Cesar Monteiro livre les nouvelles aventures esthétiques, érotiques et épicuriennes de son personnage de Jean de Dieu, réincarnation de Nosferatu et des Esseintes. La Comédie de Dieu, Showgirls, même combat. “Quoi ?”, vont crier les duègnes de la cinéphilie orthodoxe… Comment peut-on associer un Auteur se plaçant sous le […]
Avec La Comédie de Dieu, João Cesar Monteiro livre les nouvelles aventures esthétiques, érotiques et épicuriennes de son personnage de Jean de Dieu, réincarnation de Nosferatu et des Esseintes.
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La Comédie de Dieu, Showgirls, même combat. « Quoi ? », vont crier les duègnes de la cinéphilie orthodoxe… Comment peut-on associer un Auteur se plaçant sous le parrainage de Daney comme Monteiro à Verhoeven, beauf opportuniste ? C’est que l’un et l’autre ne biaisent pas avec l’obscène, offrant sans ambiguïté le corps féminin en pâture au voyeurisme et à la concupiscence du mâle.
Dans Showgirls, Elizabeth Berkley se frotte nue sur Kyle McLachlan (vêtu) jusqu’à le faire jouir. Dans La Comédie de Dieu, Monteiro caresse les formes naissantes d’une adolescente, nue dans une baignoire de lait où il lui demande de pisser.
Les deux cinéastes ne sont pas des tartuffes comme nombre d’auteurs « sérieux » qui jouent avec le corps féminin sans avoir l’air d’y toucher. Cela dit, Showgirls reste d’une vulgarité crasse et La Comédie de Dieu est une œuvre d’esthète, infiniment plus dérangeante, où le cinéaste va au bout de ses fantasmes en interprétant le rôle du prédateur sensuel.
Comme dans Souvenirs de la maison jaune (1989), Monteiro incarne João de Deus (Jean de Dieu), personnage qui évoque pêle-mêle Don Juan, des Esseintes, le chanoine Docre (de Là-bas), le Divin Marquis, Quasimodo, Dorian Gray ou Bataille… Son visage allongé et émacié rappelle une peinture du Gréco ; son corps étique et disgracieux fait penser à Max Schreck, alias Nosferatu, dont il imite le sautillement d’insecte.
Et Dieu dans tout ça ? C’est une sinistre blague puisque cet homme, sans que sa transgression soit brutale ni extrême, a tout du faune, donc du Diable. Ce petit Diable règne sur un froid enfer, le Paradis de la glace. Mentor des accortes serveuses de son établissement dont il parfait l’éducation, notamment sur le plan de l’hygiène, il est aussi exigeant sur la propreté que sur la qualité des glaces qu’il met au point avec un raffinement exquis. Ce film de dandy cultivé qui cite aussi bien Marx que Le Cantique des cantiques dans son Livre des pensées, qui renferme sa collection de poils pubiens est bien une comédie, y compris dans ses aspects les plus scabreux (« Est-ce que vous m’enculez ? », demande la serveuse Rosarinho à Maître João qui l’assaille dans les toilettes. « Oui, je t’encule », répond-il avec sa placidité habituelle), mais aussi une fable noire, un enfer de bibliothèque baroque. Le cinéaste nous jette au visage des gros plans de barbaque, de poissons éviscérés par une marchande au langage ordurier. João de Deus, délicat, cérémonieux jusqu’à la componction, sait appeler une chatte une chatte. Dans La Comédie de Dieu, le cru et le cuit chers à Lévi-Strauss, le cul et l’esprit sont juxtaposés brutalement.
Après avoir sodomisé son employée Rosarinho, João s’occupe de Joaninha, mangeuse de glaces de 15 ans, fille de son boucher. C’est sur ce seul point que le film, politique pour certains, mystique, voire métaphysique pour d’autres, transgresse un tabou réel. Sinon, la manière dont Monteiro met en scène les jeunes filles fait penser à celle de Godard. Le cérémonial de séduction de Joaninha est d’une suavité incomparable. Pas de passage à l’acte, mais des gestes sensuels.
João de Deus exprime ses pulsions libidineuses en épicurien : après avoir bu du champagne avec Joaninha, il la baigne dans du lait, la fait asseoir sur une corne d’abondance pleine d’œufs comme pour confectionner une glace au parfum de femme.
S’il y a violence ou cruauté chez Monteiro, elle s’exerce d’abord sur lui-même. La sanction sociale à son délire esthético-pervers est d’une brutalité sans appel : le boucher primaire démolit le portrait du satyre ; Judite, ancienne prostituée sans scrupules, propriétaire de l’établissement de glaces, le détruit moralement. Les gardiens de l’ordre moral, donc virtuellement les fascistes, participent au masochisme de João de Deus, physiquement et socialement annihilé. En filmant religieusement ses fantasmes, en se mettant délibérément en danger, en jouant sans pudeur de son physique ingrat, Monteiro se fabrique un fascinant personnage d’artiste maudit.
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