En s’inspirant lointainement du Eve de Mankiewicz, Paul Verhoeven et son compère Joe Eszterhas essayent de rééditer avec Show girls le coup de Basic instinct : de la fesse aérobiquée propre à émoustiller le puritanisme des masses américaines.
Résultat: une anthologie de la vulgarité proche du néant.
« Lorsque j’étais petit garçon, en Hollande, j étais fasciné par les comédies musicales américaines, et l’idée de pouvoir un jour en réaliser une était pour moi un rêve inaccessible. » Ce mélancolique enfant batave, fan de Fred Astaire et du grand Ajax, vient de réaliser son vœu le plus cher. Entre-temps, il est devenu Paul Verhoeven, connu pour avoir essayé de faire croire que Sharon Stone était une vraie blonde. Après le succès mondial de Basic instinct, il s’était bêtement fâché avec son compère Joe Eszterhas, scénariste de Flashdance, Sliver et d’un tas d’autres navets- parmi lesquels le tout récent Jade. Dans le cadre paradisiaque de Beverly Hills, Paulo et Jojo, le Hollandais volant et le stratège hongrois, se réconcilièrent lors d’un déjeuner qu’on devine très arrosé. Au nom de leurs intérêts bien compris, Ils se mirent à chercher l’argument de leur prochain mauvais coup. On ne sait pas lequel des deux prononça en premier le titre d’un des chefs-d’œuvre de Mankiewicz : All about Eve.
Show girls n’est donc que le décalque inutile, la pâle copie de ce classique de l’ambition démesurée et de la rivalité meurtrière. Polir simplifier et ne pas donner la migraine au spectateur, chaque scène est reproduite à l’identique, mais la structure narrative de l’original, particulièrement complexe et brillante, est abandonnée au profit d’une construction linéaire. Il ne faut pas trop en demander à Joe Eszterhas. De Broadway, l’action se déplace jusqu’à Las Vegas ; les paillettes des danseuses de revues remplaçant la poussière des loges théâtrales. Pour le reste, c’est du pareil au même : l’actrice vieillissante qu’interprétait Bette Davis devient une célèbre meneuse de show et la jeune ambitieuse prête à toutes les intrigues pour la supplanter, une petite danseuse surgie de nulle part. Le cinéphile pervers peut toujours s’amuser à reconnaître les subtiles scènes d’Eve dans les horreurs pompières de Show girls. Mais on s’en lasse vite tant c’est facile et, à la longue, désespérant. Reste à savoir comment un producteur hollywoodien digne de ce nom peut payer des fortunes pour un script aussi faible; et paresseux. Décidément, le cinéma américain semble avoir perdu toutes ses facultés de discernement.
Eve ayant procuré la trame, la passion enfantine de Verhoeven pour la comédie musicale fournit l’habillage. Quel est le film qui décrit dans le détail les préparatifs d’un musical de Broadway ? Gagné, c’est l’admirable Tous en scène de Vincente Minnelli. Les rares moments acceptables de Show girls sont ceux où il singe son second modèle. Hélas, les chorégraphies de Vegas n’ont qu’un lointain rapport avec celles que commandait Arthur Freed pour la MGM. Si ce côté « envers du décor » aurait pu être intéressant, le décor en question reste vraiment trop moche pour qu’on s’y attache. Bien sûr, ce parti pris de laideur absolue, ce clinquant de supermarché, est justement ce qui passionne Verhoeven.
Depuis ses premiers films hollandais, il se veut le cinéaste du faux. Sa caméra virtuose ne cherche pas à traquer la vérité vingt-quatre images par seconde mais adore s’attarder sur l’artifice le plus grossier, le leurre qui cache un vide abyssal. Si son but reste le dévoilement du factice, il lui faut passer, et nous avec, par l’accumulation d’images les plus frelatées possibles. Alors, la réussite – ou l’échec- de son projet ne tient plus qu’à une simple question de distance. Dans ses films réussis, une vision extralucide pouvait parfois se dégager de cette compilation frénétique de clichés criards. Ainsi Robocop avait trouvé en la télévision une cible idéale. Légèrement décelé par rapport à son sujet, Verhoeven remplissait la fonction classique du cinéaste européen exilé aux Etats-Unis : porter un regard, d’autant plus perçant qu’extérieur, sur les travers de la société américaine. Hélas, il a vite préféré l’immersion à la mise à distance. Show girls est l’aboutissement logique de cette attitude masochiste qui consiste à penser au-dessus de ses moyens. Perdu dans la ville-mirage par excellence, il déploie beaucoup d’efforts pour bien nous signifier qu’il n’est pas dupe. Muni d’un scénario débile, et obligé de faire semblant d’y croire un minimum, il croit pouvoir louvoyer entre le respect de la commande et la critique qu’il pense en faire. A force déjouer au plus fin, de vouloir satisfaire un large public américain tout en clignant de l’œil vers ses admirateurs européens, il finit par décevoir les uns et les autres. En misant sur les deux tableaux à la fois, son film a déjà été un bide total au box-office US avant de connaître (on parie ?) le même échec ici.
Le traitement du sexe est particulièrement remarquable comme symptôme de la schizophrénie dont souffre Verhoeven. Pour ses commanditaires, il est le type même du cinéaste licencieux. Delà même manière que les actrices européennes sont connues à Hollywood pour montrer facilement leurs nichons, il n’a eu aucun mal à se bâtir une aura de pornographe venu d’ailleurs. Au milieu du puritanisme ambiant, ses fausses audaces passent facilement pour de terribles provocations. De plus, il joue avec un art consommé de ses démêlés avec la censure pour asseoir sa réputation de marquis de Sade, tendance Malibu. Son association avec Eszterhas est basée sur un principe simple : « Donnons à ces pauvres cons ce qu’ils n’osent pas montrer eux-mêmes ! » C’est ainsi que le duo comique a déjà démontré que les femmes avaient des poils, qu’elles étaient parfois un peu gouines sur les bords et que, globalement, elles pouvaient se montrer salement perverses ! Show girls fournissant un cadre parfait à ces coupables débordements, on allait voir ce qu’on allait voir! On a vu :du cul aérobiqué comme s’il en pleuvait, du nibard siliconé plus que sur TF1, de la foufoune en pagaille et même, hardiesse suprême, quelques gouttes de sang menstruel. Comme tout le reste, cet entassement de corps postiches ne vise qu’à démontrer la vacuité du rêve américain tout en faisant bander le paysan de l’Arkansas. Manque de pot, lui aussi a fini par comprendre qu’on se foutait de sa gueule et ne s’est pas déplacé. Le sexe est un simulacre et tout est vanité, mon bon monsieur. Avec infiniment plus d’humour, et surtout plus vite, lord Chesterfield disait à peu près la même chose en 1774 : « Le bonheur est bref, la chose est rapide et la position est ridicule. » Ce qui est vain, et surtout très bête, c’est de déployer tant d’efforts pour arriver à une conclusion d’un conformisme aussi affligeant. Avec son obstination à construire du vide sur du rien, Verhoeven finit par faire la démonstration du vieux principe mathématique ; zéro plus zéro égale toujours zéro…
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