Créant une ambiance à la Twin Peaks par des juxtapositions de son histoire intime et de celle de son pays et de ses guerres, l’Américaine Amy O’Neill use des détours pour aller au coeur des choses.
Comme on feuillette un vieil album de photographies, comme on trouve dans un grenier un vieux coffre rempli de souvenirs fugaces… C’est un peu de cette manière, non pas avec l’objectivité dure de l’archiviste mais avec le regard intimiste d’un membre de la famille, que l’artiste new-yorkaise Amy O’Neill revisite la culture populaire oubliée de l’Amérique.
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Il y a, par exemple, ce Forest Park de Pennsylvanie, un petit parc d’attractions qu’elle visita quand elle était encore une petite fille et qu’elle continue d’arpenter aujourd’hui via la photographie, le film ou la sculpture. Inspiré d’un conte pour enfants, ce Luna Park est aujourd’hui en ruine, laissé à l’abandon, et Amy O’Neill en reproduit les tristes attractions sous la forme de répliques sculpturales : une cage de zoo, la maison-botte, le toit du mouton Barbados, la cage du léopard des neiges, le puits abandonné, etc. Parc de ruines, ce site offre l’image inverse des parcs d’attractions façon Disneyland et montre une culture populaire et folklorique ravalée par le tsunami du mainstream.
Il y a aussi ces dessins de chalets fermés, aux volets clos, qu’elle expose un peu en vrac au-dessus de l’accueil. Des images folkloriques là encore, à mi-chemin de la Suisse, où elle a longtemps vécu, et de l’Amérique du Nord dont elle est originaire. Sauf que, sous le trait sensible du dessin noir et blanc, ces maisons typiques semblent les lieux d’un drame intime et non dit ; on n’y respire pas seulement l’air alpin, mais aussi le suspense d’un Shining. Il y a enfin, dans une nouvelle vidéo, ce bar nommé Joe’s déniché par l’artiste à l’ouest de la Pennsylvanie et au fond duquel, une fois passé la sacro-sainte table de billard, le propriétaire a installé son musée personnel, soit une collection de trophées de chasse – ours polaires, crânes de gorilles, pattes d’éléphants – qui s’apparente à un inquiétant diorama ou musée d’Histoire naturelle.
Au final, lorsque l’on juxtapose, dans l’exposition ou dans son esprit, ces divers éléments – le Joe’s Bar, le « story-book Park », les chalets fermés -, c’est une autre ambiance qui émerge de l’exposition, quelque chose comme un air de Twin Peaks. Comme si l’oeuvre si subtile d’Amy O’Neill générait progressivement une fiction d’ensemble, un conte désenchanté où le passé vient hanter comme un spectre le monde des présents.
Mais la pièce centrale de l’exposition, c’est un drapeau américain revisité sous la forme d’une pièce au sol. Soit un alignement alterné de 450 sacs en toile de jute et de fausse pelouse pour faire les bandes, et un petit bac à sable en lieu et place des Etats. Bien après que Jasper Johns et le pop art ont fait du drapeau US une de leurs cibles favorites, cette oeuvre qui « déconstruit »
en 3D l’emblème national (Deconstructing Thirteen Stripes and a Rectangle) révèle aussi l’ambivalence de l’Amérique et de son symbole. A la fois installation militarisante ou bac à sable pour enfants, quelque part entre l’Irak et Forest Park, l’oeuvre se fait tout ensemble protectrice et agressive.
On rappellera seulement que derrière cette installation au sol, c’est encore un autre épisode vaguement oublié de l’histoire qu’Amy O’Neill remet à jour : les victory gardens, ces jardins potagers construits en Amérique ou en Angleterre pendant la Première et surtout la Seconde Guerre mondiale, qui servaient de propagande pour mobiliser les citoyens dans un effort de guerre collectif. « Aujourd’hui, s’interroge l’artiste, aux Etats-Unis, notre participation dans les guerres en cours, des guerres que nous avons initiées, ne génère que peu d’engagement public. Ce fut le point de départ de ma réflexion : serions-nous prêts à agir de façon concrète et presque quotidienne, pour soutenir de telles guerres ? » Par ces détours, par ces sentiers oubliés, par ces jeux faussement formels, l’artiste Amy O’Neill retrouve un chemin critique vers l’histoire collective et l’ère contemporaine.
Forests, Gardens & Joe’s jusqu’au 17 juillet au Centre culturel suisse, 32-38, rue des Francs-Bourgeois, Paris IIIe, tél. 01 42 71 44 50, ccsparis.com
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