Pour avoir tenté d’empêcher la révélation d’une aventure extra-conjugale, le joueur de Manchester United se retrouve au centre d’une polémique qui le dépasse largement.
Footballeur culte, admiré pour sa finesse sur le terrain et son élégance dans la vie, le Gallois Ryan Giggs ne ressortira évidemment pas indemne de cette histoire-là. Mais plus que la disgrâce d’un joueur marié attrapé dans le mauvais lit, c’est la complexité à légiférer sur la vie privée, à l’heure des réseaux sociaux, qu’elle révèle.
Tout commence le 14 avril dernier, lorsque le Sun rapporte qu’une ex-starlette de la téléréalité, la pulpeuse Imogen Thomas, a entretenu une relation avec une mystérieuse star du championnat anglais. Ryan Giggs n’est pas nommé mais il n’a évidemment pas de mal à se reconnaître derrière ce récit.
Inquiet pour la suite des événement, il entreprend le jour même une action en justice pour empêcher que son nom puisse être révélé par le journal ou par Imogen Thomas elle-même. Immédiatement, le juge met en place une injonction temporaire, empêchant la moindre mention publique de l’affaire dans l’attente du verdict final. Celui-tombe le 16 mai. Il confirme l’injonction, au prétexte que la publication de l’information provoquerait un « harcèlement » médiatique du joueur et nuirait au bien-être de sa famille. Fin de l’affaire ? Pas du tout.
Une action en justice contre Twitter et ses utilisateurs
Déjà mentionné lors de la publication de l’information initiale, mi-avril, le nom de Ryan Giggs se propage alors à vitesse grande V sur Twitter. Le samedi 21 mai, cinq jours après l’injonction, il apparaît même dans les trending topics [les sujets les plus populaires sur le réseau social, NDLR] au Royaume Uni. Les avocats du joueur ont alors la très mauvaise idée de lancer une action en justice contre Twitter et ses utilisateurs. Sans le savoir, ils déclenchent une véritable curée, à laquelle le député libéral-démocrate John Hemming finit par se joindre. Deux jours plus tard, le lundi 23 mai, il profite de son immunité parlementaire pour confirmer le nom du joueur devant le Parlement.
« 75 000 personnes ont identifié Ryan Giggs sur Twitter et il serait déraisonnable de toutes les emprisonner », se justifie-t-il.
Dans la foulée, tous les médias du pays s’engouffrent dans la brèche, relayant à volonté la déclaration du député…
En Angleterre, cette drôle affaire vient relancer le débat complexe sur l’équilibre entre liberté de la presse et protection de la vie privée. Depuis 2005, dans un souci de respecter la Convention européenne des droits de l’homme, les juges anglais semblent en effet avoir choisi leur camp.
Régulièrement sollicités par des célébrités, ils multiplient les injonctions en tous genres, empêchant la publication d’informations relatives à leur vie privée. L’injonction anonymisée, celle utilisée par Ryan Giggs, permet aux journaux de publier l’information, mais leur interdit de révéler le nom des protagonistes. Dans le même genre, la super injonction va plus loin encore. Elle interdit aux journaux de publier l’histoire et les empêche également, de façon perverse, de faire état de cette interdiction.
La super injonction utilisée pour des affaires d’intérêt général
Actuellement, près de quatre-vingts personnes bénéficieraient de cette super injonction. En mars dernier, le député Hemming avait déjà révélé les super injonctions obtenues par Sir Fred Goodwin, ancien patron de la Royal Bank of Scotland, afin que la presse ne puisse mentionner ses activités passées en tant que banquier ou faire état de sa supposée aventure avec une cadre de la banque.
Mais ce genre de procédures aurait aussi été utilisé pour empêcher la publication d’informations relevant nettement plus de l’intérêt générale que de simples histoires de coucheries. Tout en restant évasif, pour ne pas se mettre à la faute, le Guardian a ainsi fait savoir que des injonctions l’avaient empêché de révéler un scandale de pollution des eaux ainsi que des informations liés à la pratique de l’euthanasie en Angleterre.
Depuis plusieurs années, les journaux anglais, des plus sérieux aux plus douteux, se retrouvent donc pour lutter contre la multiplication de ces injonctions. « Le problème n’est pas de savoir si le footballeur a commis ou non un adultère, mais de protéger la liberté d’expression », écrivait dimanche dernier Richard Walker, le directeur du Sunday Herald. Régulièrement, les éditorialistes anglais dénoncent aussi cette procédure exclusivement pensée pour des riches soucieux de leur image et en mesure d’activer très rapidement une armée d’avocats.
Dans ce contexte, l’irruption des réseaux sociaux et en particulier de Twitter fait encore évoluer le débat de façon drastique. Juste ou pas, légitimes ou pas, ces injonctions apparaissent désormais vaines car impuissantes à freiner contre la propagation de l’information en ligne.
« La loi doit s’adapter à la façon dont on consomme l’information »
Alors que faire ? Autoriser la presse à révéler ce qu’elle veut ? Ou foutre en prison tous ceux qui relaient les informations sur Twitter ? Pour David Cameron, le Premier ministre anglais, il n’y a pas de « solution simple« .
« Il faut prendre du temps et réfléchir au problème. Mais il ne me semble pas juste que des journaux ne puissent publier une information qui est sur tous les réseaux sociaux. La loi et la pratique doivent se retrouver et s’adapter à la façon dont on consomme l’information aujourd’hui. »
Dans les semaines qui viennent, un comité sera mis en place pour étudier la question et trouver une nouvelle forme législation.
Marc Beaugé