Cher Frédéric Mitterrand, Je vous dois beaucoup. Quand vous étiez le propriétaire du défunt Olympic, la place “moins de 15 ans” ne valait que 7 f. En tapant 20 f à ma mère, je pouvais voir deux films et me payer un sablé au citron à la boulangerie du coin de la rue Raymond-Losserand. Chez […]
Cher Frédéric Mitterrand,
Je vous dois beaucoup. Quand vous étiez le propriétaire du défunt Olympic, la place « moins de 15 ans » ne valait que 7 f. En tapant 20 f à ma mère, je pouvais voir deux films et me payer un sablé au citron à la boulangerie du coin de la rue Raymond-Losserand. Chez vous, j’ai découvert Ken Loach et Hedy Lamarr, Fred Wiseman et Le Mépris, Jean Eustache et Une Aventure de Buffalo Bill. Surtout, c’est à l’Olympic, assis à ma place fétiche (le cinquième fauteuil du cinquième rang), entouré d’affiches de films dont je rêve encore (Madame X, Frontière chinoise…), que j’ai vu Profession : reporter pour la première fois. Bref. Si je sais, comme Moretti, que les goûters de mon adolescence ne reviendront plus, votre présence fraternelle me manque. Susciter des vocations coûte cher, un gros investissement pour un bien maigre résultat, et je veux croire que vos errances télévisuelles avaient pour seul but d’éponger vos dettes d’exploitant téméraire. Même si vous faites tout pour nous le faire oublier, vous n’avez pas toujours été le Monsieur Loyal attitré de l’Hôtel de Ville et des Césars, ou le pâle illustrateur de Madame Butterfly. Vous êtes aussi l’auteur d’un film qu’il est temps de redécouvrir. Avec Cinq et la peau de Rissient, Mourir à trente ans de Goupil et Empty quarter de Depardon, Lettres d’amour en Somalie reste comme une grande réussite de ce cinéma intime et exigeant qui a peu à peu disparu de nos écrans. Placée sous le signe d’une famille imaginaire qui va de Rimbaud à Duras en passant par Nizan et Antonioni, scandée par la belle musique de Jean Wiener, cette confession d’un homme blessé fera ricaner ceux qui n’aiment pas avoir la gorge serrée. Entre le journal filmé et la caméra-stylo, vous y pratiquez avec un bonheur sans égal l’art délicat de la digression souveraine. D’une voix inimitable, à la mélancolie définitive, vous soumettez votre propre vie à ce crible tendre que, plus tard, vous populariserez en narrant les destins d’étoiles. Préface à la première personne au grand livre de vos rêveries sur Ava Gardner ou Visconti, ces lettres bouleversantes achèvent de nous convaincre : Chirac ne vous mérite pas. Il est temps de revenir parmi nous.
Bien à vous,
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