La fameuse chorégraphie d’Anne Teresa De Keersmaeker entre au répertoire du Ballet de l’Opéra de Paris.
Il y a tout juste un an, à Bruxelles, dans les locaux de sa compagnie Rosas, Anne Teresa De Keersmaeker évoquait ce projet singulier, la reprise de Rain, un chef-d’oeuvre, par la compagnie classique la plus aventureuse, celle de l’Opéra de Paris. « Des pièces fortes comme Rain, je n’en fais pas tous les ans. La rendre possible à d’autres danseurs, un autre public, je dois m’y atteler. » Pas de fierté mal placée chez la Belge, juste le sentiment partagé que Rain est un fondement de son répertoire.
Mai 2011, on se retrouve au palais Garnier dans les studios de répétitions, sous les toits, quelques jours avant la première. Les garçons travaillent dans le studio Noureev, les filles dans le Petipa. Pas trace d’Anne Teresa dans les parages, elle viendra plus tard, mais la quasi-totalité des danseurs du cast d’origine, venus transmettre leur savoir – moins Fumiyo Ikeda, repartie la veille. Au sol, un étrange mandala cosmique constitué de centaines de repères, de diagonales. « Les petits points désignent nos maisons », s’amuse Miteki Kudo, sujet de l’Opéra de Paris embarquée dans cette aventure. Elle qui fut une sublime Elue du Sacre du printemps choisie par Pina Bausch tirera sa révérence avec Rain.
Créée il y a dix ans sur la partition de Steve Reich, Rain reste un choc où la chorégraphe cherche « à faire jaillir la vie », travaillant sur le motif de la spirale. Une pièce à différents niveaux de lecture où le placement au sol est redoutable, la présence sur le plateau constante. « C’est un ballet de personnes, dit Laurent Hilaire, ex-étoile maison désormais maître de ballet. Il faut que les interprètes intégrent le souffle commun de l’effort, de la fatigue, de l’émotion. »
Le service du jour, trois séances de répétitions, est une redoutable épreuve. Mais c’est le lot commun de l’excellence classique. « Au niveau chorégraphique, c’est riche et complexe. On essaie d’apprendre deux minutes de Rain chaque jour, commente Miteki, consciente de l’étendue du travail qui reste à abattre. Mais j’ai toujours eu envie de danser Anne Teresa, c’est un accomplissement pour moi. »
La fatigue semble poindre, on rate son saut, on se bouscule. Les garçons, trois sur scène contre sept danseuses, sont en avance, le tout sous les yeux de Jakub Truszkowski, qui fut de la création. On reprend ce porté, une double bascule sur le dos d’un soliste… l’évidence de la beauté d’un mouvement selon la chorégraphe. La directrice de la danse Brigitte Lefèvre, qui a convaincu De Keersmaeker de « céder » Rain, parle d’une nouvelle forme d’investissement et de dépassement pour ses ouailles du Ballet de l’Opéra de Paris. Comme une pluie de printemps qui viendrait rafraîchir la vénérable institution.
Philippe Noisette
Rain du 25 mai au 7 juin au palais Garnier, Paris IXe, tél. 08 92 89 90 90