Session de rattrapage vidéo sur Ripstein, cinéaste majeur filmant la famille comme le premier cercle de l’enfer. Lorsqu’il y a deux ans on a découvert Arturo Ripstein, cela faisait déjà plus de vingt-cinq ans qu’il faisait des films. Ce qui est inquiétant sur la capacité à ignorer un pays, le Mexique, qui recèle tant de […]
Session de rattrapage vidéo sur Ripstein, cinéaste majeur filmant la famille comme le premier cercle de l’enfer.
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Lorsqu’il y a deux ans on a découvert Arturo Ripstein, cela faisait déjà plus de vingt-cinq ans qu’il faisait des films. Ce qui est inquiétant sur la capacité à ignorer un pays, le Mexique, qui recèle tant de bons cinéastes (Hermosillo, Leduc) et rassurant à la fois : maintenant que son travail nous est devenu indispensable, on sait qu’entre les sorties des vieux films et des nouveaux, les vidéos et les rétrospectives, on ne manquera pas d’approvisionnement. Mais pourquoi tant de fébrilité alors qu’il s’agit de films durs et lourds, sordides souvent, claustrophiles, surchargés et suffocants, dont les histoires ne parlent que d’incestes, de suicides, de dégradations corporelles et sociales entre autres réjouissances ? C’est peut-être que ces désastres ne semblent jamais gratuits, qu’ils ne sont pas montrés par sadisme ou complaisance, mais qu’ils sont au contraire la manifestation inéluctable de la nature tragique du rapport familial. Car si le destin est une obsession chez Ripstein, ce n’est jamais en tant que loi céleste et immuable présidant au sort des humains. Le fatum, ici, c’est la famille : forme première de socialisation, lieu par excellence de l’enfermement dont on ne sort d’ailleurs presque jamais. Ce qui intéresse Ripstein est ce qui lie les gens entre eux, qui n’est pas très clair (des secrets, de la culpabilité, de la jalousie, de l’affection, voire de la superstition) ou qui l’est trop au contraire (du désir). Plus que les états des personnages, ce qui compte est leur relation et comment cette réciprocité, qu’il s’agisse d’amour ou de haine, crée un mouvement qui ne semble obéir qu’à une logique du pire. La famille est fatale par ce qu’elle génère de malheur, dans un déterminisme terrifiant, mais également parce que l’on ne peut y échapper, qu’on ne la quitte que pour en recréer une autre tout aussi dévastatrice. Ainsi Le Château de la pureté (1972) est-il une maison en pleine ville où un père de famille, idéologue taré, séquestre sa femme et ses enfants depuis vingt ans, arguant qu’il les protège du monde extérieur, Gomorrhe filant droit vers sa destruction. Cette cellule, protectrice et aliénante, se fissure sous l’action conjointe de la révolte larvée des enfants, de leur sexualité réprimée, du manque d’argent.
L’Empire de la fortune (1985) décrit la trajectoire d’un misérable crieur de village qui devient riche grâce aux combats de coqs. Il prend pour femme une chanteuse qu’il considère comme son porte-bonheur ce qui ne l’empêche pas de la maltraiter. Bien que très peu découpé, alignant de longs plans-séquences poisseux et tournoyants, le cinéma de Ripstein est d’une grande puissance et peut aller très vite, opérant par ellipses brutales. Ici, l’histoire se déroule sur plus de vingt ans et les plans sont comme les wagons d’un long train chargés à bloc, liés par un même mouvement mais néanmoins séparés. Avec Stroheim et Buñuel, dont il fut l’assistant, Ripstein figure parmi les grands naturalistes.
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