Psychologie lourdingue et mise en scène trop voyante : malgré d’excellents comédiens, Un Air de famille s’enlise.
Un Air de famille est la deuxième pièce du couple Bacri-Jaoui, après Cuisines et dépendances qu’ils avaient déjà coécrit et interprété. Entre café-théâtre et boulevard, leur premier essai était plutôt réussi : des dialogues qui faisaient souvent mouche, servis par des auteurs en premier lieu acteurs : Jean-Pierre Bacri qui excelle dans le genre taciturne et tranchant et Agnès Jaoui élève à Nanterre de la génération des Isabelle Renauld et Valeria Bruni-Tedeschi, ayant fait ses classes avec Chéreau et Romans que l’on découvrait à l’écran. Un Air de famille est donc d’abord une pièce de théâtre, et le restera avant tout. Car dans son adaptation, Cédric Klapisch n’est pas parvenu à s’approprier « l’enfant » Jaoui/Bacri, il n’a fait que de l’illustration. L’histoire est simple : les membres d’une famille la mère, la soeur Betty (Jaoui), les deux frères Henri (Bacri) et Philippe (Yordanoff), sa femme Yolande (Catherine Frot) ont pris l’habitude de se retrouver chaque vendredi soir pour dîner ensemble. Mais ce vendredi-là, trois événements extérieurs vont exacerber les affects : Philippe est passé à la télévision l’après-midi même ; Betty a eu une altercation avec l’un de ses supérieurs ; et Arlette, la femme d’Henri, est introuvable. Par un jeu d’exaspérations surajoutées, ils vont régler de vieux comptes familiaux, sous le regard décentré du barman Denis (Jean-Pierre Darroussin, excellent fidèle de l’équipe). Mais dès les premières scènes, ça ne prend pas. D’abord parce que l’unité de lieu l’action se déroule tout entière dans le café d’Henri semble plus un artifice de mise en scène qu’une vraie nécessité pour les personnages. A plusieurs reprises, ils sont filmés en train d’attendre, et l’on se demande ce qui les retient de prendre la poudre d’escampette, si ce n’est un film à terminer. Deuxième point, la montée des tensions au sein de la famille va s’organiser autour de quelques leitmotivs, ce qui va très vite donner une sensation de répétition des situations. D’autre part, les personnages sont présentés sous un angle unique, sans évolution ou ambiguïté véritable, à l’exception de Yolande. Dès leur apparition, les masques tombent. D’où un sentiment de stagnation et d’oppression, face à cette assemblée pré-définie qui n’en finit pas de se bouffer le nez, enfermée dans une pièce. L’attachement aux personnages ne se fait pas, leur détresse ne nous émeut pas ; on rit de quelques percutants dialogues fusant ici ou là plus que des situations, pas franchement neuves ou originales. Le côté appuyé de certains propos est aussi gênant et Klapisch ne parvient pas à alléger l’ensemble : sa mise en scène fait passer la psychologie en force, souligne le texte par des effets de caméra redondants (gros plans de visages aux silences signifiants, personnage « négatif » filmé à travers un verre déformant…), cherche à « faire cinéma » par des ficelles trop voyantes (les changements de focale, l’écran large, la ponctuation par le piège à mouche…). L’émotion est artificiellement plaquée par le biais de séquences à la nostalgie gluante, où l’on voit les trois enfants sauter au ralenti dans le lit parental… Malgré l’excellence des comédiens, la greffe théâtre-cinéma a encore échoué.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
{"type":"Banniere-Basse"}