Tanner reprend La Salamandre et règle ses comptes avec le monde moderne. Tonique et lucide. En 1971, Alain Tanner signait La Salamandre qui allait devenir, non seulement son film le plus célèbre, mais aussi l’un des manifestes du cinéma d’auteur européen des années 70. Dans La Salamandre, deux journalistes enquêtaient sur un fait divers, le […]
Tanner reprend La Salamandre et règle ses comptes avec le monde moderne. Tonique et lucide.
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En 1971, Alain Tanner signait La Salamandre qui allait devenir, non seulement son film le plus célèbre, mais aussi l’un des manifestes du cinéma d’auteur européen des années 70. Dans La Salamandre, deux journalistes enquêtaient sur un fait divers, le crime inexpliqué et inexplicable d’une certaine Rosemonde (inoubliable Bulle Ogier, murée dans son mutisme et son opacité, glissante comme la salamandre du titre), fourreuse de saucisses dans une charcuterie industrielle. En menant minutieusement leur enquête tels des Marlowe d’un genre nouveau, les journalistes butaient sur un noyau de mystère non fissible, mais finalement ne revenaient pas totalement bredouilles : ils ramenaient dans leurs filets, presque à leur corps défendant, une formidable matière à fiction située quelque part entre la biographie, le roman noir et l’étude sociologique. Vingt-cinq années plus tard, Tanner réalise Fourbi (avec Bernard Comment en coscénariste et renvoyeur de balle de la nouvelle génération), un travail qui tient un peu de l’expérience chimique : reprendre les données de La Salamandre, les plonger dans le bouillon de l’époque (un liquide qui peut s’avérer particulièrement corrosif) et observer les réactions, les transmutations en chaîne. En vingt-cinq ans, Lapalisse ne le dirait pas mieux, les choses ont changé : la politique, le social, la technologie et notamment (et surtout) les médias… Les deux sympathiques reporters de La Salamandre sont devenus dans Fourbi des producteurs de reality-shows aux canines acérées, la déontologie vissée sur l’audimat. Comme Kevin (Robert Bouvier), responsable des programmes d’une nouvelle chaîne privée, désireux de lancer une série d’émissions de prime-time qu’il souhaite inaugurer par un fait divers Karin Viard est la remarquable « nouvelle Rosemonde », aussi charnelle et terrienne que Bulle Ogier était lunaire. Kevin charge donc un vieux pote écrivain vaguement soixante-huitard, Paul (Jean-Quentin Châtelain, aussi excellent dans le rôle que son sosie Nastase l’était sur le court), de cuisiner Rosemonde et d’écrire le scénario de la série. Evidemment, la réalité est parfois moins simple que les plans sur la comète tirés à la hussarde par les responsables des programmes télévisés. Rosemonde refuse peu à peu de « vendre » son histoire, et Paul, indécrottable romantique, devient rapidement plus sensible aux rondeurs de Rosemonde qu’au paquet de francs suisses promis par son « pote ». Avec une rage féroce, mais aussi un sens de l’humour qui l’empêche de passer pour un vieil aigri, Tanner démonte et dénonce la cuistrerie des puissances économico-médiatiques clin d’œil à La Salamandre, le sponsor est un obèse charcutier en gros, sans doute le patron de l’ancienne Rosemonde. De la même manière que l’économique dévore le social, la communication bouffe le cinéma. Cette dénonciation n’est certes pas neuve ce qui l’est, c’est la façon dont Tanner et Comment la pratiquent : un mélange inédit de colère et de fatalisme, de lucidité et de dérision. Alors, que reste-t-il ? Résister, sauver au moins l’honneur, respirer à pleins poumons tant qu’il reste une poche d’air… Ce sera le sexe, une amitié naissante, une solidarité nouvelle pour les personnages du film et une très belle ligne de fuite pour Fourbi, tendant à montrer que décidément la femme est l’avenir de l’homme. Pour Tanner, c’est continuer à faire des films de cinéma selon ses propres règles esthétiques, sa propre économie et son propre cheminement de Suisse errant sur les marges qui, si ça continue, ne suffiront plus à faire tenir les pages.
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