Comment, à une semaine d’élections locales qui ont tourné ce dimanche à la Bérézina pour le pouvoir en place, une poignée d’internautes a allumé la mèche de la révolte avec une page Facebook et moins de 1000 euros en poche.
(De Madrid) A peine un peu plus de 1 000 euros, un compte Facebook et de l’indignation. C’est tout ce qu’il a fallu à une poignée d’internautes pour allumer la mèche d’un mouvement de protestation que personne n’attendait plus en Espagne après bientôt trois ans de crise.
Un mouvement qui a sans conteste joué, dimanche soir, dans la défaite sans précédent aux élections locales pour le pouvoir en place: l’opposition conservatrice arrive dix points devant les socialistes, qui perdent notamment les villes de Barcelone et Séville.
« Et dire qu’on a lancé ça », se surprend encore Fabio Gándara, avocat au chômage de 26 ans, depuis une rue en pente d’où il observe la foule qui commence à se presser vers la Puerta del Sol, à Madrid, en ce début de soirée du vendredi 20 mai 2011.
Voilà cinq jours qu’un campement improvisé s’est monté sur cette place historique située en plein cœur de la capitale, bouleversant du même coup une campagne électorale monotone et dominée par les deux grands partis, socialiste et conservateur.
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Sac en bandoulière, barbe fine et regard attentif qui accuse la fatigue d’une semaine frénétique, ce Galicien installé à Madrid passe totalement inaperçu parmi les milliers de passants qui convergent vers la place.
C’est pourtant chez lui, dans un quartier populaire de la capitale, que tout a commencé. Blogueur à ses heures, habitué des forums politiques, il décide en février dernier de partager ses réflexions en ouvrant un groupe sur Facebook : la Plateforme de coordination de groupes pro-mobilisation citoyenne.
On est loin des slogans efficaces qui seront repris quelques mois plus tard dans plus de 170 villes espagnoles et jusqu’à Paris, New York et Londres. Mais son intitulé aride n’empêche pas l’appel d’être entendu par un large éventail d’Espagnols en colère.
Des jeunes ultra-diplômés ne trouvant pas leur place dans une société où 21% de la population active est au chômage, mais aussi des familles endettées, des immigrés, des militants contre la loi Hadopi à l’espagnole, des chômeurs de longue durée et même quelques théoriciens de la conspiration le rejoignent bientôt.
Rebaptisée « Democracia Real Ya », « Une vraie démocratie, maintenant » (DRY), la plateforme se déclare indépendante de tout parti ou syndicat.
« Certains d’entre nous se considèrent plus progressistes, d’autres plus conservateurs. (…) Mais nous sommes tous inquiets et indignés par le panorama politique, économique et social qui nous entoure », clame leur manifeste.
Depuis plusieurs années, les enquêtes montrent une méfiance croissante envers les responsables politiques que les Espagnols classent au sommet de leurs préoccupations, derrière l’économie. La crise ne fait qu’aiguiser le malaise. Publié fin mars en Espagne, le livre de Stéphane Hessel, Indignez-vous, s’est vendu à 400 000 exemplaires.
Comme lors de la révolte tunisienne, Internet permet donc à des « indignés » atomisés de se retrouver. Les membres de DRY voient grand et décident d’organiser 50 manifestations le 15 mai 2011, en pleine campagne électorale pour les municipales et les régionales.
« On a eu besoin d’à peine plus de 1 000 euros pour organiser celle de Madrid », s’amuse Jon Aguirre Such, un étudiant en architecture de 26 ans qui a rejoint DRY début avril.
Moustache fine, cheveux bruns coiffés façon Mod, petit gabarit, il attend dans la rue, la voix cassée par son nouveau rôle de porte-parole du mouvement, que Fabio Gándara en ait fini avec une interview. « Dans nos rêves les plus fous, on s’attendait à voir défiler maximum 10 000 personnes à Madrid », assure-t-il.
Ils sont finalement plus de 80 000 à manifester dans toute l’Espagne. Dans plusieurs villes la participation est supérieure à celle du 1er mai. « Incroyable ! », se félicitent les organisateurs, euphoriques, dans le cortège. Ils s’attendent à ouvrir les journaux télévisés du dimanche soir.
Raté. Rien ou presque dans les médias. Et pas une mention du côté des politiques.
«C’est la myopie politique et l’ignorance médiatique qui ont fournit l’étincelle à ce mouvement social», explique Antoni Gutierrez Rubi, conseiller en communication politique. « Les manifestants se sont dit: «On démontre notre énorme capacité de mobilisation et vous nous ignorez, et bien vous allez voir maintenant!» »