Producteur et scénariste inspiré et surbooké, Vince Gilligan nous révèle les arcanes de son art. Entre tournages et séances d’écriture, “être showrunner rend nerveux”.
Vince Gilligan est le créateur et le showrunner (scénariste et producteur principal) de Breaking Bad, l’une des plus intéressantes séries du câble américain, dont il prépare actuellement la saison 4. L’excellent festival parisien Séries Mania en a fait une de ses stars au mois d’avril. Moins extravagant que son collègue Matthew Weiner (l’homme derrière Mad Men), ce quadragénaire n’en reste pas moins une personnalité étonnante. Aussi humble qu’ambitieux, Gilligan a accepté de nous parler de son métier si désirable et si fatigant. Visite dans les entrailles de la télé US.
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Ici, on connaît mal l’activité de showrunner. Alors que vous écrivez, tournez et montez la saison 4 de Breaking Bad, pouvez-vous nous en dire plus ?
Vince Gilligan – Dans l’avion pour venir en France, j’ai bossé sur une première version du dernier épisode, le treizième, que je vais finir d’écrire pendant mon séjour ici. Au moment où je vous parle, l’équipe entame le dernier jour de tournage de l’épisode 8. J’étais sur le plateau il y a encore quelques heures. Etre showrunner rend nerveux. On jongle entre plusieurs balles et on les garde en l’air sans avoir le droit de les faire tomber. Jusqu’ici, je n’ai rien foiré de grave (rires). Depuis quatre ans, je garde ce train sur les rails avec l’aide de mon équipe. Ensemble, on fait de la natation synchronisée.
Boucler une saison prend combien de temps ?
Un peu plus d’un an pour treize épisodes. C’est relativement long dans le contexte américain.
Beaucoup de personnes en France se demandent comment arriver au niveau des Américains. Un avis sur la question ?
Je ne crois pas que le France manque de talent : regardez vos films ! Vous avez inventé le cinéma. C’est, pour beaucoup de choses, une question d’argent. Notre budget sur Breaking Bad est inférieur à beaucoup d’autres séries américaines, mais malgré tout assez important. Je crois que l’argent attire le talent tout en offrant de la liberté artistique. Et l’Amérique adore dépenser du fric ! Peut-être que si les cinéastes français trouvaient cool de tourner des séries, le niveau pourrait monter ? Pendant longtemps, la télé américaine était ghettoïsée. Aujourd’hui, les auteurs et les réalisateurs font l’aller-retour naturellement. Et c’est normal. Télé et ciné sont deux manifestations de l’image animée !
Voilà trois saisons pleines que Breaking Bad existe, une bonne durée. Comment parvenez-vous à rester frais ?
Cela devient un peu plus difficile chaque année. J’ai envie de continuer à surprendre et intéresser le public, c’est une des raisons pour lesquelles la série ne pourra pas durer éternellement. De mon point de vue, elle devrait se terminer… disons qu’on pourrait aller jusqu’à cinq saisons. On n’est pas les Simpson ! La pire chose que nous puissions faire, c’est de nous convaincre, face au succès, que cette affaire peut durer éternellement.
Le héros, Walter White, a un cancer. Il ne va pas vivre vingt-cinq ans…
Probablement pas !
En avez-vous parlé avec la chaîne ?
Malheureusement, nous n’en avons pas encore assez parlé avec AMC. Il est temps que nous ayons une discussion franche sur le sujet. Avec mes scénaristes, nous aimerions garder notre travail le plus longtemps possible, mais on ne peut pas tout avoir !
Comment écrivez-vous la série ?
J’ai six scénaristes formidables avec moi. On passe nos journées autour d’une table, à façonner les histoires brique par brique. Cela prend deux semaines et demie pour imaginer le déroulé de chaque épisode. Sur les murs, nous affichons des bristol avec des indications. Ensuite, l’un des scénaristes part seul pour écrire. Je repasse dessus pour finir.
La série casse les règles télévisuelles classiques. Par exemple, il y a énormément de longues scènes.
Récemment, nous avons tourné une scène de douze minutes entièrement en espagnol. La chaîne nous permet cela et nous avons les acteurs pour le faire. C’est extrêmement rare !
Ce genre de scènes vous force à briser la structure classique d’une série ?
Chaque épisode est construit de la même façon : un teaser avant le générique, suivi par quatre actes de huit à dix minutes. Je suis habitué à ces contraintes depuis que j’ai commencé à écrire pour les X-Files, en 1995. J’ai reproduit cette structure, alors qu’aujourd’hui, de plus en de séries comptent sept actes, pour faire rentrer plus de pub. Là, c’est très difficile à écrire. Et à regarder. Le système mis en place par AMC est le moins intrusif, même si je préférerais ne pas avoir à me soucier de la publicité. Mais ça paie nos salaires.
Avez-vous le temps de regarder d’autres séries ? La différence entre le câble et les chaînes hertziennes se creuse.
La télévision américaine va bien, même s’il est toujours difficile de maintenir le niveau. J’ai expérimenté les deux, le câble et les grandes chaînes, et j’ai largement préféré le câble. Ce n’est pas une question de possibilités créatives, mais de rythme. Plus je vieillis, plus je le ressens. Fabriquer vingt-quatre épisodes par an, c’est épuisant. Ça me fatigue rien que d’y penser. C’est déjà si dur d’en faire treize par an ! Quand je vois une série exceptionnelle comme The Good Wife, sur CBS, je suis impressionné. J’admire Robert et Michelle King, qui l’ont créée et la dirigent. Grâce à des gens comme ça, l’industrie reste florissante, créativement et économiquement.
Propos recueillis par Olivier Joyard
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