Le metteur en scène invente une bâtisse magique pour un huis clos où le texte de Marie NDiaye, qui réunit trois femmes autour d’un même homme, condense des figures inquiétantes de la masculinité.
La canicule transforme en épreuve le chemin qui mène à cette maison perdue dans la solitude des champs de maïs. Les couches d’air prennent de l’épaisseur durant les grosses chaleurs et, pareilles à des loupes, troublent la vision du paysage.
Il en est de même pour l’écriture de Marie NDiaye qui s’amuse d’effets de mirages pour imaginer une collection de dialogues hallucinés dans Les Serpents. L’action, se déroulant un 14 Juillet, alerte sur une première menace… Il suffirait d’un feu de Bengale ou d’un pétard lancé au hasard pour que la bâtisse s’évanouisse en fumée, dans une fournaise qui ne laisserait que des cendres.
Lui, dans l’antre
Trois femmes se retrouvent devant la porte. Madame Diss (Hélène Alexandridis), France (Tiphaine Raffier) et Nancy (Bénédicte Cerutti) sont déterminées à faire le siège du refuge où se terre celui qui est le fils de la première, le mari de la seconde et l’ex-mari de la dernière.
Le prétexte d’un emprunt d’espèces sonnantes, le désir de renouer avec un être quitté sans préavis ou les vantardises de celle qui jouit aujourd’hui de ses faveurs n’y feront rien, l’homme refuse de montrer son nez, muré dans son mystère.
Compilant les figures du gourou, de l’ogre séquestreur d’enfants et de l’amant au profil de Barbe-Bleue, ce monstre aussi inaccessible que désiré est peut-être un assassin. La rumeur prétend qu’il cache dans son antre la tombe du petit Jacky, conservant la dépouille de son fils enfermée dans une cage avec des serpents.
Jacques Vincey évoque les magies d’un texte déployant son onirisme dans des images dignes du cinéma : “Si Les Serpents était un film, on parlerait de thriller psychologique, de comédie satirique ou encore de conte fantastique. On saluerait l’importance du hors-champ, la qualité du suspense qui se distille progressivement depuis le ventre de cette maison dont on ne perçoit que des sons et des éclats de voix. On invoquerait Hitchcock, Scola ou Lynch.”
Elles, poussées dehors
La confiance du metteur en scène va à l’imaginaire des spectateur·trices pour visualiser ce que l’on ne peut montrer. Puisque l’homme est aux abonnés absents, autant qu’il ne fasse qu’un avec une maison que Jacques Vincey invente tel un porte-voix en lui donnant l’allure d’un immense mur de son.
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L’empilement d’enceintes se déplace imperceptiblement du lointain à l’avant-scène tout au long de la représentation. Dévorant inexorablement l’espace de jeu jusqu’à réussir à sortir les femmes du plateau, l’installation scénographique devient la métaphore cruelle de la société dénoncée par Marie NDiaye, la mécanique d’un monde sans pitié où l’homme règne sans partage.
Les Serpents de Marie NDiaye, mise en scène Jacques Vincey, avec Hélène Alexandridis, Bénédicte Cerutti, Tiphaine Raffier. Théâtre Olympia – Centre national dramatique de Tours et en tournée – dates à préciser