Prochaine révolution numérique, le mariage de la bonne vieille télé et d’internet affole les acteurs de l’audiovisuel. Les chaînes craignent de perdre leurs prérogatives face aux géants comme Google TV et Dailymotion.
Bien plus que la possibilité de regarder la télé sur son ordinateur, la TV connectée entend faire du téléviseur de salon le récepteur unique des programmes audiovisuels traditionnels et des services offerts par le web. La promesse est donc alléchante : sans quitter son canapé mais désormais actif, le téléspectateur pourra passer d’une émission diffusée en direct par TF1 à une vidéo choisie sur Dailymotion ou à un reportage d’Arte en VOD, tout en twittant ses commentaires.
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Cette convergence télé/internet n’est pas une totale nouveauté. L’Apple TV existe depuis 2007, Google compte sur sa Google TV, les box des FAI ou les consoles de jeu offrent déjà certains services en ligne, et les téléviseurs compatibles se multiplient. Comme le rapportait Michel Boyon, président du CSA, en ouverture d’un récent colloque sur le sujet, sur les 8,5 millions de téléviseurs vendus en France en 2010, 770 000 étaient connectables, et on estime que 15 à 20 % de leurs propriétaires ont utilisé cette fonctionnalité. En 2011, il devrait se vendre 2,6 millions de télés connectables en France.
Pour les différents acteurs (chaînes traditionnelles, fabricants, éditeurs de contenus, diffuseurs internet, FAI, annonceurs), la réflexion est en tout cas déjà entamée. Tous sont sur le qui-vive, les uns pour ne pas perdre la main, les autres pour essayer de se faire une place. Devant le risque de voir imploser le cadre général de l’audiovisuel tel que nous le connaissons, la tonalité générale est plutôt défensive et méfiante.
« Ça va exister, il faut s’adapter », se résigne Nicolas de Tavernost, président du directoire du groupe M6, tandis que Jean-Christophe Thiery, président de Bolloré Média, soupire : « Il faut que nous fassions avec. »
Vindicatif, Nonce Paolini, pdg de TF1 s’en prend à internet : « La TV connectée va permettre de voir arriver dans son salon des contenus totalement en opposition avec ceux des chaînes de télévision. Tout oppose le monde de l’internet et le monde de la télévision, que ce soit en matière de protection des enfants, de pluralisme, de droits d’auteur, de véracité, d’authenticité des informations diffusées. A côté de l’univers d’internet où il n’y a aucune règle, il y a un univers particulièrement régulé, la télévision. Et les deux vont se trouver en compétition. »
Malgré la grossièreté de l’attaque, le pdg de TF1 résume quelques-uns des enjeux qui se posent effectivement, les règles de la télé traditionnelle semblant inadaptées et inadaptables à ce nouveau contexte. Devant les choix qui vont s’offrir au spectateur, l’audience risque de se fractionner et entraîner une perte de contrôle et une baisse des recettes publicitaires des acteurs traditionnels au profit, probablement, des géants du web.
Dans ces conditions, comment financer la création, et par qui ? Les opérateurs télécoms veulent bien contribuer, mais pas être des « vaches à lait », dixit Xavier Couture d’Orange. Comment par ailleurs faire cohabiter les règles strictes de l’audiovisuel français avec celles, mondiales, d’internet ? Les ayants droit des grands catalogues américains pourraient, par exemple, demander des sommes exorbitantes aux chaînes sous peine de distribuer directement leurs films ou leurs séries. Le problème de la fiscalité se pose également. Les chaînes, qui ont déjà signé une charte sur la TV connectée en novembre dernier, craignent enfin que les applications à l’écran ne parasitent leurs programmes et fassent zapper les spectateurs.
Devant ce maelström d’interrogations, chacun essaie d’avancer ses pions. Les diffuseurs traditionnels réclament des protections vis-à-vis des nouveaux entrants, tout en voulant profiter de plus de liberté. Les FAI arguent que l’ADSL ne sera plus suffisant et font la promotion du très haut débit tandis que les fabricants voient un moyen de renouveler le parc de téléviseurs.
Les autorités de régulation, pour leur part, essaient de justifier leur rôle mais aussi de masquer leur impuissance. Michel Boyon veut croire que « la régulation est possible malgré la mondialisation » tout en insistant cependant sur la nécessaire autorégulation des professionnels.
D’autres, qui ont peut-être plus à gagner qu’à perdre à cette évolution, se montrent plus positifs. Martin Rogard de Dailymotion souligne que c’est une « occasion de réinventer la façon d’appréhender la télévision » et y voit une chance pour l’économie française :
« C’est très important de créer en France des groupes à l’échelle mondiale. C’est la meilleure réponse, dynamique, économique et pas seulement protectionniste, à la situation. »
Vincent Dureau de Google pense aussi aux opportunités qui s’offriront aux créateurs et aux contenus « qui ne trouveraient pas de place sur les chaînes traditionnelles », réflexion qui est aussi celle des responsables des chaînes thématiques.
Entre inquiétudes conservatrices et optimisme démesuré, il faudrait cependant s’intéresser un peu au spectateur. Quelles sont ses attentes, ses possibilités financières, ses capacités d’adaptation technique ? A quoi, par exemple, ressemblera le guide de programme de la télé connectée ? « On ne sait pas quels seront les usages réels », reconnaît Michel Boyon, « Ce sera aux Français de décider ce qu’ils veulent regarder et comment. Mais la TV connectée sera un progrès pour le téléspectateur. »
Anne-Claire Norot
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