Au cœur de la deuxième saison d’“Hippocrate” qui plonge dans l’urgence du quotidien hospitalier, l’actrice endosse à nouveau sa blouse d’interne. Un moment doublement vécu par l’actrice, sur le plateau et dans sa vie, entre douleur et félicité.
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A la fin de la première saison intense d’Hippocrate, la brillante médecin Chloé Antovska luttait contre la mort après un arrêt cardiaque sur le parking de l’hôpital. Malgré notre angoisse pour la fragilité de son destin, un sentiment dominait : celui de voir naître un grand personnage de série, déjà inoubliable après quelques heures de fiction.
Deux ans et des poussières pandémiques plus tard, le retour de l’héroïne a bien lieu et son incarnation partage le même attachement : “Chloé, je l’ai dans la peau”, dit Louise Bourgoin, la voix claire. C’est à ce point ? Oui, c’est à ce point. “En recevant les scénarios de la nouvelle saison, j’ai eu l’impression de lire ce qui allait advenir de moi, comme quand on rend visite à une voyante et qu’on ouvre le livre de sa vie.”
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Dans une carrière commencée à la télé (Miss Météo sur Canal+ dans les années 2000) mais maturée au cinéma (chez Axelle Ropert, Nicole Garcia, Joachim Lafosse notamment), la trentenaire n’avait jamais eu l’occasion de ressentir puissamment l’effet série, celui qui entre dans le cerveau et le cœur de chaque côté de l’écran, provoque cette identification à effet prolongé, comme une implacable piqûre intime.
Quand elle revêt son costume pour de bon, c’est pour se retrouver dans une nouvelle peau
Tourner la deuxième saison d’Hippocrate n’a pourtant pas été un long fleuve tranquille. Pour commencer, Louise Bourgoin a enfilé la blouse avec du retard sur les autres. Juste après le début du tournage, en janvier 2020, elle mettait au monde son deuxième enfant.
“Thomas Lilti savait que je voulais un deuxième enfant après la saison 1 et avait eu l’extrême bonté de me dire : ‘C’est quand tu voudras.’ Quand on a su quand j’allais accoucher, cela a décalé le tournage de deux mois et Thomas a récrit mon personnage en fonction, pour que la machine se mette en marche sans moi.”
Tout cela pour ne rester finalement sur le plateau qu’une petite semaine, premier confinement oblige, après un mois et demi de congé maternité. Le vendredi 13 mars au soir, l’équipe dont Louise fait à nouveau partie se dit “à lundi”. Mais personne ne se reverra avant le mois de juin.
Quand l’actrice revêt finalement son costume pour de bon, c’est pour se retrouver dans une nouvelle peau. Chloé Antovska a beau avoir survécu à son grave accident, elle avance dans la deuxième saison en ayant perdu l’usage de sa main gauche, devenue flasque, coincée à vie dans une orthèse. Une idée de scénario efficace, mais pas simple à accepter pour la comédienne déstabilisée.
Une actrice partie à la reconquête de son rôle
“Je me suis sentie punie, comme elle. J’étais empêchée de jouer des choses techniques comme réanimer un patient, alors que j’adore le faire – Thomas le sait –, car cela me permet de débrancher mon cerveau, en me plongeant dans le concret des actions. Sinon, je pense trop. Le fait d’être droite comme un piquet et seulement dire mon texte, c’était très difficile pour moi.”
Devenir une actrice qui pense trop, Louise Bourgoin a pourtant su l’éviter. Elle traverse les épisodes en majesté, jouant de sa semi-absence avec brio, ici et ailleurs en simultané. La trajectoire de Chloé, forcée de faire ses preuves malgré son handicap, raconte finalement celle de l’actrice partie à la reconquête de son rôle, “une sorte de résurrection”. La maîtrise totale d’un côté, le corps malade de l’autre : la faille centrale de Chloé fait mouche. “Sa vraie terreur, c’est quand même de ne plus être performante intellectuellement”, conclut son interprète.
On se lance avec une question potentiellement bateau (“La pandémie a-t-elle changé votre façon de jouer ?”), et sa réponse en relève tout de suite le niveau. “Quand nous sommes revenus après la pause forcée, jouer est devenu très étrange. Nous étions masqués entre les prises, mais le fait de tomber le masque devant la caméra, de dévoiler son visage pour dire des dialogues, c’est comme si tout à coup cela empêchait un peu la composition.”
“Il y avait un effet de vérité au moment même où on entrait dans la fiction. C’est peut-être juste une impression, mais cela m’a fait quelque chose de me démasquer.” A la lumière des mots de l’actrice, le réalisme brutal de cette nouvelle saison d’Hippocrate prend encore plus de sens : il s’y passe un genre de réaction chimique entre des émotions écrites (celles des personnages dans la surchauffe hospitalière) et d’autres qui naissent sans avoir été prévues, simplement parce que le monde pénètre par tous les pixels de l’écran. “On s’est tous dit qu’on était au bon endroit, que cette saison était nécessaire et faisait vraiment écho à ce qu’on était en train de vivre.”
Se séparer symboliquement d’une image plus mainstream ?
Cette période irréelle, faite de grandes souffrances et d’étranges moments suspendus, Louise Bourgoin considère la vivre en “archi-privilégiée”, alors que les cinémas sont fermés et les réas pleines. Elle a tourné 130 jours en 2020 et repart ce printemps au cœur des Alpes, à 3800 m exactement, pour jouer dans le deuxième film de Thomas Salvador, réalisateur remarqué de Vincent n’a pas d’écailles, belle tentative super-héroïque indé sortie en 2014.
La Montagne racontera comment un quadra parisien en visite à Chamonix prend la décision radicale de vivre en haute altitude et y rencontre des créatures. Louise Bourgoin touchera à cette occasion une cime du cinéma d’auteur français qu’elle n’a que rarement fréquentée. “Pour la première fois, mon partenaire est aussi le metteur en scène du film. Jouer avec celui qui regarde en même temps, cela donne sûrement quelque chose de singulier.”
“Ce que j’aime dans l’approche de Thomas, c’est qu’il apporte de l’expérimental dans du réalisme. Dans ce film comme dans Vincent n’a pas d’écailles, il y a un dispositif, quelque chose d’extraordinaire et hors normes. Une invention poétique va porter les images. Mais je ne peux pas en dire plus.” On guettera la manière dont cette invention poétique se déploie dans le travail de la comédienne, qui pourrait trouver dans ce film l’occasion de se séparer symboliquement d’une image récente plus mainstream concernant le grand écran.
En une sans maquillage
Encore faut-il que les rôles passionnants arrivent. La tendance est à la variété plus grande des personnages féminins, mais Louise Bourgoin sait à quel point nous sommes parti·es de loin. “Pendant longtemps, on avait beau dire que les femmes étaient indépendantes, on restait dans un environnement placardé de filles en lingerie, très soumises. Quand j’étais petite, à la télé avant le journal de 20 h, il y avait quand même tous les soirs une décérébrée qui se foutait à poil pour relancer l’audimat.”
“L’émission s’appelait Cocoricocoboy. J’ai été élevée à ça, jusqu’à mes 10 ou 11 ans. Il y a maintenant une vraie prise de conscience que je vois d’abord avec les journalistes qui se posent la question de ce que l’on raconte et de l’image qu’on crée, par exemple dans les magazines féminins. Je ne sais pas si c’est parce qu’on communique presque uniquement par des images via Instagram et Facebook, mais on les analyse vraiment.”
“On arrête de me faire poser en soutien-gorge avec des bijoux de luxe dans une chambre d’hôtel”
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Elle raconte avec soulagement qu’un grand mensuel l’a mise en une sans maquillage, avec des vêtements ni garçon ni fille. “On arrête de me faire poser en soutien-gorge avec des bijoux de luxe dans une chambre d’hôtel, comme un joli chat qu’on a envie de caresser. Il y a quelque chose de plus direct et normal par rapport à mon métier et ce que j’ai envie de raconter. Jusqu’ici, le contrat induit ressemblait à ça : tu fais de la promo, alors tu portes trois kilomètres de maquillage sur la tronche avec un énorme brushing, un soutif compensé et des hauts talons. Si tu veux qu’on t’écoute, arrive comme ça.”
Elle en revient à Hippocrate, comme elle se pencherait vers une boussole fiable pour éclairer son désir d’actrice : “On n’est pas très sexués dans la série. Avec Karim Leklou qui joue Arben, on avait tenté des impros lors des essais au tout début, en jouant aux amoureux. Sauf que ça n’avait pas beaucoup de sens. Souvent, en tant qu’actrice, je joue une amoureuse. Comme si finalement la réussite de la vie d’une femme passait par sa rencontre avec un homme. Ce qui est intéressant avec Thomas [Lilti], c’est que ses personnages sont dans la compétence avant tout.”
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