Le prix Nobel de littérature 2020 décerné à la poétesse new-yorkaise a eu l’avantage de mettre la poésie en avant et de nous donner enfin accès à ses textes. On la découvre avec deux de ses recueils phares.
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On peut enfin lire, en France, le prix Nobel de littérature 2020. Bien qu’elle publie depuis cinquante ans, Louise Glück (née en 1943 à New York) n’avait jamais été traduite chez nous. Précisons qu’elle écrit de la poésie, et s’il y a un genre littéraire snobé aujourd’hui dans notre pays, outre la dramaturgie, c’est bien celui-ci. Surtout quand les textes en vers viennent de l’étranger. Mais donc ce prix, tant critiqué ces derniers temps, de l’Académie suédoise, a en tout cas eu ce mérite : révéler au grand public une écrivaine exceptionnelle. C’est d’abord cette musique, singulière dès les premiers mots ; on a du mal à saisir le motif mais le rythme – respirations, césures, resserrements –, la tonalité, les accents frappent l’oreille. C’est ensuite cette voix, ces voix, “nous” ou “je” différents à chaque poème, intrigants, mystérieux, familiers et lointains à la fois :
“Pas je, espèce d’idiot, pas moi, mais nous, nous- vagues
de ciel bleu comme
une critique du paradis : pourquoi
chéris-tu ta voix
alors qu’être un
équivaut à n’être presque rien ?” (Scilla)
C’est cet humour parfois, comme dans ce passage, même au cœur des interrogations les plus métaphysiques. L’existence de Dieu, ou plutôt son abandon du monde, de cette terre et de l’humanité, revient comme un leitmotiv dans l’œuvre glückienne. C’est aussi la calligraphie, ces mots et même ces lettres qui enchantent l’œil, tant leur disposition sur la page dessine, à chaque texte, une forme nouvelle, spécifique.
L’éditeur a eu l’excellente idée d’une édition bilingue, textes en anglais à droite, en français à gauche. Elle permet une sorte de lecture en miroir : passer d’une langue à l’autre, entendre la langue d’origine dans toute sa beauté, vérifier immédiatement le sens d’un détail qui aurait échappé à la traduction – de très grande qualité dans les deux recueils. C’est enfin cet univers fantasmagorique, entre onirisme et réalisme ; on ne sait jamais trop où on est, mais on s’y retrouve dans ce monde de brumes, d’éclaircies et de clair-obscur, entre pénombre et lumière révélatrice, comme certaines toiles d’Edward Hopper ou de David Hockney :
“A mon réveil, je me retrouvai dans une forêt.
L’obscurité semblait naturelle, le ciel à travers les pins
épais de tant de lumière” (Trillium).
Impressions, visions et souvenirs
Deux recueils sont donc publiés par les éditions Gallimard : L’Iris sauvage (1992) et Nuit de foi et de vertu (2014). Le premier est considéré comme son chef-d’œuvre, qui marquerait un tournant dans sa vie comme dans son travail, explique une préface. Peu importe au fond l’existence de Louise Glück, tant sa démarche se situe aux antipodes de l’autobiographie, qui cherche sans cesse à s’impersonnifier, se démultiplier en autant de locuteurs possibles qu’il y a d’expériences humaines. Les textes de L’Iris sauvage constituent une sorte d’herbier (Rose blanche ; Perce-Neige ; Lys blancs) ; ils disent, le temps d’une floraison ou d’une journée (Matine ; Tombée du jour), la beauté fragile de toute vie sur terre. Y surgissent de temps en temps des figures mythologiques, Didon, Enée, Eurydice ou encore Jésus-Christ, ces héros et héroïnes de la catabase, le mythe grec de la descente aux Enfers, pour en remonter les ressuscité·es.
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Tel est bien le chemin qu’indique implicitement la poétesse : sonder les mystères de la langue jusque dans ses méandres les plus biscornus, ses points aveugles les plus invisibles. D’ailleurs, ils ne racontent rien ces poèmes de L’Iris sauvage, aucune histoire, aucune narration, “l’expression lyrique poussée à son paroxysme”, écrit justement sa traductrice Marie Olivier en préface. Vingt ans après, dans Nuit de foi et de vertu, Glück a changé de style. Elle raconte dorénavant plus d’histoires, déclinées sous forme de paraboles, d’allégories, de mythes, auxquels se confondent toujours impressions, visions et souvenirs :
“Enfin la nuit m’enveloppait ;
Je flottais dessus, peut-être dedans,
ou elle me portait comme une rivière porte
un bateau, et en même temps
elle tourbillonnait au-dessus de moi,
parsemée d’étoiles mais néanmoins obscure.
C’était pour des moments comme celui-ci que je vivais.” (Minuit)
Les éditions Gallimard ont prévu de poursuivre la traduction et publication de l’œuvre de Glück.
L’Iris sauvage (Gallimard), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Marie Olivier, 160 p., 17 €
Nuit de foi et de vertu (Gallimard), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Romain Benini, 160 p., 17 €
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