Nommé préfet en 2010, l’ancien flic Christian Lambert devait « nettoyer le 9-3 ». Sans réels moyens, le fonctionnaire ne peut appliquer sa politique sécuritaire et néglige ses missions sociales.
Il aurait pu rêver plus tranquille pour parachever sa carrière décrite comme « exemplaire » dans les rangs policiers. En avril 2010, Christian Lambert – 65 ans en juin – est nommé préfet dans le département le plus pauvre et criminogène de France : la Seine-Saint-Denis. L’ancien flic, qui fut patron des CRS et chef du Raid (corps d’élite de la police nationale), est chargé par Nicolas Sarkozy de « rétablir l’ordre » et d’éliminer l’insécurité dans le « 9-3 », territoire gangrené par les violences et l’économie souterraine du trafic de drogue.
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Une nomination stratégique pour Nicolas Sarkozy, qui veut faire de son « superpréfet » le symbole de sa politique volontariste en matière de sécurité. Et redorer son image dans les quartiers sensibles avant 2012 (aux dernières présidentielles, la Seine-Saint-Denis a voté à 57% pour Ségolène Royal). Le président a toute confiance en Christian Lambert, un proche depuis leur rencontre en 1993 lors de la prise d’otages dans une école maternelle de Neuilly.
40 000 interpellations, 660 kilos de cocaïne saisis
Un an après cette nomination largement médiatisée, l’heure est au bilan. Lors d’une visite à la préfecture le 20 avril, le ministre de l’Intérieur Claude Guéant a salué le travail de Christian Lambert, et sa « stratégie de reconquête républicaine ». L’occasion pour la préfecture d’aligner les chiffres. En un an, près de 40 000 personnes ont été interpellées, dont près de 9000 pour trafic de stupéfiants. Plus d’une tonne de résine de cannabis et 663 kg de cocaïne ont été saisis. Les vols à main armée ont chuté de 40,67% sur les trois premiers mois de 2011, par rapport à la même période de 2010.
Mais entre avril 2010 et mars 2011, les violences aux personnes ont augmenté de 10,6 % et les vols avec violence de 11,3 %. Les infractions à la législation sur les stupéfiants, l’une des cibles prioritaires du préfet, ont elles aussi augmenté de 5,5 % en 2010, selon l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales.
« Les dealers se rabattent dans le hall suivant »
Le fer de lance de la « méthode Lambert » ? Une véritable « guerre des halls », lieux de deals et refuge des bandes en tout genre. Selon une enquête de l’Office public de l’habitat de Seine-Saint-Denis, environ 16% des halls d’immeuble étaient occupés en juin 2010, dont la moitié par des trafiquants de drogue. Depuis l’arrivée du préfet, 19 000 halls ont été contrôlés. Certains y voient une prime aux statistiques qui permet de multiplier les arrestations de petits revendeurs – immédiatement remplacés – mais n’inquiète pas les véritables caïds (Christian Lambert en dénombre 80).
« On ne fait que déplacer le problème », estime Claude Bartolone, président PS du conseil général et député de Seine-Saint-Denis. « Le trafic de crack de la gare de Saint-Denis ? Il a été transféré au quartier des Poètes de Pierrefitte. Une descente dans un hall ? Les dealers se rabattent sur le hall suivant. »
« Tant que les chiffres sont utilisés politiquement, difficile de ne pas en tenir compte, reconnaît Philippe Laborderie, responsable Ile-de-France au Syndicat national des officiers de police (Snop). Mais la priorité du préfet reste d’améliorer le ressenti des gens au quotidien, en multipliant les opérations dans les lieux de vie commune. »
« Il met une pression d’enfer aux forces de l’ordre »
L' »homme-karcher » du président semble unanimement apprécié dans le département. Claude Bartolone décrit un homme « sympathique, franc du collier, travailleur ». « Il a d’étroites relations de travail avec les élus du territoire, il est à l’écoute », renchérit Gilles Poux, le maire communiste de La Courneuve.
Lambert jouit également du respect de ses troupes. « Il a gravi les échelons depuis le bas de l’échelle, explique Philippe Laborderie. Il est compétent, ouvert, et ne compte pas ses heures. » « Il met une pression d’enfer aux forces de l’ordre !, s’amuse même Stéphane Gatignon, maire de Sevran et conseiller régional. Lui-même est tout le temps sur le terrain. Le soir, il prend sa caisse et il suit les flics. » L’homme dort peu : Nicolas Sarkozy l’affuble du surnom de « Panda », à cause de ses yeux éternellement cernés.
Mais la stratégie de Christian Lambert fait grincer des dents. « C’est un superflic, pas un préfet. Un préfet s’occupe aussi des questions d’aménagement, d’emploi, de logement, de finances locales, d’intercommunalité… Lui est quasi uniquement sur le terrain de la sécurité », critique Stéphane Gatignon. Des lacunes d’autant plus gênantes que la Seine-Saint-Denis souffre d’un fort taux de chômage : 11,2% au dernier trimestre 2010, selon l’Insee. Dans ce département, le plus jeune de France, 13 600 jeunes sont demandeurs d’emploi selon la préfecture, ce qui représente une hausse de 26% depuis le début de la crise en novembre 2008.
« En terme de sécurité, il vide la mer avec une petite cuillère«
Les liens de Christian Lambert avec le cercle présidentiel n’ont pas entraîné d’augmentation des moyens du département.
« Je l’ai accueilli en lui disant : ‘Je suis heureux d’avoir enfin une ligne directe avec l’Elysée’, raconte Claude Bartolone. Ça n’était pas qu’une boutade ! Il a fait remonter des infos. »
Il cite l’exemple des mineurs étrangers isolés, débarqués de l’aéroport de Roissy, qui ont coûté au département « 30 millions d’euros en 2010, contre 20 millions en 2009. Mais l’Etat qui se serre la ceinture a fait la sourde oreille. Ce qui montre bien que Lambert est destiné à être un symbole, sans moyens à la clé ». Stéphane Gatignon ajoute : « Même en termes de sécurité, il vide la mer à la petite cuillère. »
Officiellement, on recense près de 5000 hommes en Seine-Saint-Denis. « Insuffisant, estime Claude Bartolone. Surtout qu’entre les postes prévus et les postes réellement pourvus, il y a un gouffre. » Des sources policières évoquent plutôt 3 300 postes réels. Pour Philippe Laborderie, « le vrai souci, ce ne sont pas les effectifs mais leur répartition : dans les départements difficiles et a fortiori dans les quartiers vraiment chauds, on a moins de fonctionnaires qu’ailleurs, et souvent moins expérimentés, car il y a moins de candidats ».
Aujourd’hui, « l’ambiance dans le département n’a pas changé, juge Stéphane Gatignon. On est même face à un climat de plus en plus violent, à cause de la crise économique. » Dans sa ville, une fusillade à l’arme automatique s’est encore déroulée le mois dernier en plein après-midi, heureusement sans faire de victimes.
Du côté de l’Elysée, on semble satisfait du travail de Christian Lambert. Un projet de loi taillé sur mesure devrait lui permettre de rester à la tête du département malgré ses 65 ans. Examiné le 6 avril en conseil des ministres, il prévoit de « maintenir un fonctionnaire au-delà de la limite d’âge, à titre exceptionnel ».
Anouchka Collette
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