L’un est aussi rare que l’autre se tenait sous les projecteurs. Ils ont pourtant fini par se rencontrer, mais trop tard. Gérard Manset raconte Bashung dans un récit gracieux.
Un hommage ? Une lettre ? Un tombeau ? Un temple. Manset offre à Bashung un Angkor de 126 pages. Sculpté dans une écriture d’éternité par laquelle remontent (sur du fil menaçant toujours de casser) les souvenirs. Lesquels, d’ailleurs ? Les deux hommes se sont manqués.
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Les années passant, dans un milieu (les musiciens) pourtant tout petit, ils ne se seront jamais fréquentés – un peu de méfiance, beaucoup d’absences. Leur public – pour beaucoup le même, avec une petite différence se comptant par centaines de milliers – avait fait la jonction sans eux. Qui a dit que le temps n’attendait pas ? Leur collaboration a fini par advenir mais comme trop tard, un pied dans la tombe : trois titres signés Manset sur l’ultime Bleu pétrole, dont l’épique et miraculeux Comme un Lego, neuf minutes.
Ce Lego- là montant deux constructions à la fois, on le retrouvait aussi, faisant pont, à l’intérieur du Manitoba ne répond plus que livrait Manset à peu près à la même heure. Bashung est mort, depuis.
« Finalement nous nous étions retrouvés sur le dernier parcours, et c’était bien ainsi… »
Tout est dans ce « et c’était bien ainsi… » qui dicte au livre sa trajectoire. Peu ou pas de regrets, quelques lignes pour admettre les différences, une ou deux autres pour se souvenir avoir dit une fois ou mille « je ne veux pas finir comme ça » en parlant du Bashung somnambule, ou du Bashung idolâtré. Manset préférant une fois encore être loin, ailleurs dans le monde que sur le devant de la scène.
Mais on est né de genre humain, et la fuite n’interdit pas le sentiment. Voici alors le roman bref d’un début d’amitié respectueuse, le livre d’une entente esquissée. Styliste (jusqu’à l’antipathie avouée), Manset dessine les occasions manquées, celles qui font que Bashung et lui se sont quand même croisés au travers d’autres : les Lescure, Bayon, Bigot, Nicolas Sirkis, Nanard Lavilliers, Didier Barbelivien. Ou tel ingénieur du son de chez Milan, tel musicien d’arrière- band par lesquels la rumeur Bashung revenait.
« Ah bon, vous ne vous fréquentez pas ? »
Les amateurs de bonnes anecdotes et de chronologie respectée trouveront que Manset s’égare. Cela fera se tordre ceux qui savent que pour lui, qui depuis longtemps voyage en solitaire, s’égarer reste le moyen de pouvoir dire qu’il y a une route. Une fois, donc, la route Manset et l’axe Bashung ont fini par tomber d’accord sur le fuseau horaire, la latitude et la longitude. Ce fut alors comme deux guerriers.
Philippe Azoury
Visage d’un dieu inca (L’Arpenteur/Gallimard), 126 pages, 12€, en librairie à partir du 6 mai.
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